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La Ferme des Brandt_673

La Ferme des Brandt_673

9 juin 2015
Claire Bärtschi-Flohr
Claire Bärtschi-Flohr

Il était une fois… la vallée du Locle.

Eh oui, on ne le dit pas assez, l'histoire de La Chaux-de-Fonds (et de la ferme des Brandt) commence….. au Locle.

En 1151, Renaud de Valangin donne ses « noires joux » aux moines de l'abbaye de Fontaine-André.

Cette vallée recèle un bien inestimable : L'eau. Le fond de la vallée est marécageux et plusieurs sources émergent à différents endroits.

Les moines défrichent la forêt et peu à peu des gens les rejoignent à qui les Seigneurs de Valangin accordent des franchises : Ces habitants, on les appelle des Francs-Habergeants.

L'un de ces loclois, Othenin Brant, crée vers 1450 une famille qui, au fil des décennies et même des siècles s'enrichit et possède de plus en plus de terres.

La commune du Locle s'étend jusqu'au territoire de ce qui deviendra La Chaux-de-Fonds et l'un des descendants de notre Othenin Brant fait construire entre 1612 et 1614 la ferme dont nous parlons. La Chaux-de-Fonds est alors à peine un hameau.

Cette maison des Brandt est tout à fait unique. A l'époque déjà, il s'agit d'un bâtiment de prestige. Il ne faut pas croire que toutes les fermes de cette époque sont aussi richement décorées. Elle a certainement été construite par des gens fortunés qui n'étaient plus seulement des agriculteurs.

Aquarelle peinte au milieu du XIXème siècle.

Peut-être le maître de maison exerçait-il le métier de prêteur d'argent, car les banques n'existaient pas alors. Ou le métier d'engraisseur de bétail. Il semble que le commerce de bœufs était très important vers 1600, au point que la Suisse exportait déjà 50000 têtes de bétail par an dans ces années-là… pendant lesquelles il y a eu une extraordinaire expansion économique. L'argent coulait à flot, provenant d'Espagne. Ce pays, riche de l'or ramené d'Amérique du Sud, achetait à l'étranger tout ce dont il avait besoin.

La maison est classée monument historique à cause de la qualité exceptionnelle de ses façades sud et nord, de sa cuisine voûtée et de sa « belle chambre ».

C'est la pièce d'apparat de la maison, avec ses superbes boiseries « renaissance ». La partie très ouvragée était appelée « le coin du père » ou le « coin du maître ». Ce qui en dit long sur le rôle tout puissant joué par le propriétaire, qui était également père et mari.

L'appui de la fenêtre, particulièrement épais, a probablement servi d'établi à plusieurs ouvriers lors du développement de l'horlogerie, au XIXème siècle. Sur les côtés, on peut voir quantité de traces du travail d'horloger : les trous des clous où on suspendait les montres pour en observer la marche. Des croix, pour indiquer probablement des livraisons.

« … La belle chambre est réservée à la famille et aux amis, mais dans des circonstances plus ou moins solennelles seulement, mariages, baptêmes, funérailles. On n'y entre pas avec des souliers pleins de terre.

Le colporteur sera reçu dans le vestibule, appelé devant-huis, le voisin ou le marchand connu auront droit à la cuisine, comme les tailleurs, cordonniers, bouchers venus travailler à la journée. Et dans l'alcôve, seuls sont admis les conjoints, le pasteur au lit d'un mourant, la sage femme lors des naissances et les jeunes enfants. »

L'essentiel de la vie se passait donc à la cuisine.

Nous qui avons à disposition tant de supermarchés, nous avons de la peine à imaginer qu'il n'y a encore pas si longtemps, les gens vivaient en complète autarcie et ne pouvaient consommer que ce qu'ils avaient mis en réserve. Ils vivaient sans fruits, ni légumes frais, en hiver surtout. Même en saison, les fruits étaient rares dans la région.

« …La pomme de terre est inconnue. Dans la cave, on a le tonneau de « surcrute », qu'on faisait non seulement avec des choux mais aussi avec des raves (sourièbe) ou même des côtes de bettes.

Je rappelle en passant que choucroute n'a rien à voir avec chou. Il s'agit de l'allemand « sauer kraut », légumes au sel et fermentés.

On plantait dans le sol de la cave des poireaux et des céleris, on suspendait à la voûte quantité de choux, tête en bas. Les raves, choux-raves et carottes complétaient l'assortiment. Dans le cellier, tout proche des caves, on stockait le lait frais, le séré, le beurre. »

On fumait saucissons, lard et jambon dans la grande cheminée.

Le soir, pendant la mauvaise saison, la famille, les domestiques, les amis se rassemblaient autour du feu, chacun occupait ses mains à quelque travail, et l'on se racontait des histoires, pour s'amuser ou se faire peur.

Aujourd'hui, la Ferme des Brandt est transformée en un bon restaurant. On peut y manger dans le cadre superbe de cette vieille bâtisse.

Citations en italiques, ainsi que la reproduction de l'aquarelle in la très intéressante étude d'André Tissot « Chronique de la Ferme des Brandt », 1998, éditée par l'ASPAM, Association pour la sauvegarde du patrimoine des montagnes neuchâteloises.

Tuyé : (wikipedia) Le tuyé, écrit également tuhé ou tué et prononcé « tué » est une pièce centrale des fermes du Haut-Doubs en Franche-Comté, notamment la région de Morteau, où l'on fait fumer la viande. Elle recueille les tuyaux de tous les poêles de la maison, d'où peut-être son nom d'après certains historiens (d'autres avançant une racine celte signifiant « toit »).

Site : aspam.ch

Porte cochère au nord :

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  • Roland-Alexandre Gross

    C'est en effet une magnifique ferme neuchâteloise.

    En 1977, j'ai effectué mon mémoire en histoire sur la ferme neuchâteloise en général et une étude de huit fermes: Le Valanvron No 26, Le Coeufier, Trémalmont, Vers Chez Maublanc-Les Sagnettes, La Sorcière-Grandes Crosettes No 40, La Chaudrette, L'Horloge et Le Petit Coeurie, en particulier. Je n'avais pas retenu Les Petites Crosettes 6 précisément parce qu'elle était aménagée et habitée. Mon travail consistait à une étude de fermes peu modifiées et inhabitées, afin que je puisse faire les relevés nécessaires. Dans votre texte, vous citez André Tissot. Il a été l'un de mes conseillers attentifs. Je garde un bon souvenir de cette époque.

    Merci de votre belle contribution.

    Cordialement,

    R.-A. Gross

  • Claire Bärtschi-Flohr

    Merci beaucoup pour votre intéressant commentaire. Vous devez bien connaître le sujet. Est-ce que vous avez publié votre travail ? Bonne soirée.

    • Roland-Alexandre Gross

      Bonjour Madame,

      J'avais tenté de retrouver la piste de mon mémoire, il y a une dizaine d'années, mais sans succès. Il faut dire qu'il y a bientôt cinquante ans que je l'ai réalisé. A cette époque, les exigences étaient moindres que maintenant, où les mémoires de masters sont presque des thèses de doctorat. Je me souviens qu'il avait été déposé à la bibliothèque universitaire, me semble-t-il. Mais, à cette époque, je ne pense pas qu'une publication des travaux personnels était prévue. J'ai évidemment conservé une copie (papier jauni, photos de qualité assez médiocre). Il est clair que si c'était à refaire, je ne le réaliserais plus du tout de la même manière. Mais j'étais jeune et c'est il y a longtemps ;)

      Cordialement,

      R.-A. Gross

  • Claire Bärtschi-Flohr

    Merci pour votre commentaire. Oui, les possibilités d'impression, de diffusion et de qualité des photos ont bien changé. Tout cela a été mis à notre disposition ces dernières années, avec les progrès de l'informatique. Les recherches d'un étudiant sont appréciées car elles amènent des éléments nouveaux. Ce travail a sûrement été consulté à l'époque au sein de l'uni et il vous a sans doute laissé un excellent souvenir. Une pierre de plus dans l'étude des fermes de la région ! Bonne continuation et belles fêtes de fin d'année.