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Les voies d'eau entre Branson et Martigny

Les voies d'eau entre Branson et Martigny

5 mai 2012
Marianne Carron
Marianne Carron

Vu depuis les vignes des Follatères, à l'ouest de Branson, la plaine entre Fully et martigny présente un réseau de canaux retraçant l'histoire des endiguements successifs du Rhône et de la Dranse.

Le canal Leytron-Saillon-Fully ( au bas de la photo), est longé par la route cantonale. Ce canal est constitué en grande partie par un des bras du Rhône, dont on a resserré et rendu rectiligne le tracé. Moins profond que le Rhône, il subissait un refoulement de ses eaux lorsqu'il est en crue, provoquant des inondations qui restaient emprisonnées derrières les digues, leur évacuation naturelle en étant contrariée. Par la suite, un tronçon de canal supplémentaire et deux tunnels ont étés creusés pour le faire aboutir après l'éperon des Follatères. Le siècle suivant les débuts de l'endiguement du Rhône fut extrêmement difficile pour les Fullerains, dont les terres furent victimes d'un supplément de catastrophes liés à cet endiguement - auquel il fallut de nombreuses adaptations - en plus des fléaux naturels qu'il amplifia d'abord.

Le Rhône entre ses digues irrégulièrement boisées et le nouveau pont de Branson.

Historiquement, il semblerait qu'il y ait toujours eu un pont en bois dans ce secteur. De multiples conflits avec Martigny et Saillon, parfois Saxon, Riddes ou Leytron, portant sur l'entretient, les frais ou la charge de la réfection de cet ouvrage d'utilité régionale, remplissent les archives. C'est que le fleuve vaguant à travers la plaine en plusieurs bras s'entremêlant - aidé par les débordements de ses affluents et la presse des eaux de tout le Valais lors de grosses fontes de neiges, d'orage ou de débâcles - se répandait en fréquentes, imprévisibles et subites inondations, emportant les ponts que les villageois retrouvaient sur les berges des communes suivantes. Les forêts surexploitées déjà au moyen-âge, faisaient du bois un matériau rare et cher, aussi fallait-il se dépêcher de ramener un pont emporté, car il pouvait être débité par un découvreur chanceux, ce qui aurait obligé la commune à en couper dans la forêt plantée pour cet usage.

Le fleuve coule au niveau de la plaine qui l'entoure, les digues qui l'enclosent sont construites au-dessus de celle-ci. Elles sont prévues pour contenir les crues annuelles.

Invisible, en contrebas de la digue se trouve le Canal des Filtrations, régulant les eaux qui quittent le Rhône lorsque l'eau dépassant l'empierrement du lit interne rencontre une couche de terre perméable.

La légère courbe derrière le Rhône, c'est le Grand Collecteur, Canal Transversal ou Canal du Syndicat, qui arrive de Charrat et rejoint aux Prises le Canal du Tollérons bien visible grâce à sa double lignée de peuplier.

Le canal du Tollérons est lui aussi un ancien bras du Rhône ; celui qui vaguait du côté de Charrat, arrivant de saxon, sous le nom de Petit Rhône.

Toute cette région était couverte de dunes importantes et ressemblait à la Camargue.

Un petit cours d'eau l'Eau Rousse naissait aux Chantons, vers la voie de chemin de fer. Il rejoignait rapidement le Tollérons. Derrière eux, les Gouilles du Guercet et leurs îles, que la zone industrielle de Martigny a presque recouvert, s'étendaient depuis la base du Mont Chemin.

Revenons à la route cantonale. Une fois passé sous son petit pont, le Canal du Syndicat longe le Rhône et passe sous la Dranse,avant de se jeter dans le Rhône vers Vernayaz, tandis que la Dranse le fait bien avant, en face de l'embouchure du canal de Fully- Saillon.

Ce triangle de terre, pris entre le fleuve et ce canal, est le fief de La Drague ; la gravière. Le coude du Rhône est un large secteur où l'eau s'écoule plus lentement qu'ailleurs : suite à des siècles d'alluvions accumulées là par les inondations, le dénivelé sur Fully est infime. C'est pourquoi une gravière à été mise en place afin de retirer l'apport de sable et de gravier du lit du fleuve endigué.

En reprenant la route cantonale, autrefois magnifiquement encadrée par un couloir de peupliers devenu trop étroit pour la large avenue actuelle, on passe devant la Ferme des Prises. Elle conserve encore, bordant ses champs en direction de Martigny, une haie de peupliers qui longe le dernier tronçon de la Munaressa : la Grande Meunière ou Meunière des Artifices.

La Meunière des Artifices est un canal sinueux qui traverse Martigny pour rejoindre le Rhône. Elle reliait antan les communes éparses du Bourg, de la Ville, de la Bâtiaz, dont elle traversait les champs. Elle a pris son nom des moulins, battoirs, foulons et autres artifices bâtis sur ses berges pour y fonctionner à la force de l'eau et dont un groupe se trouvait aux Prises. La Grande Meunière servait aussi à l'irrigation des prés, comme une sorte de bisse de plaine. Son tracé curieusement tortueux laisse deviner que c'est l'ancien lit de la Dranse, lorsqu'elle se jetait encore dans le Rhône près de Branson après avoir contourné une île. Le changement de son tracé à peut-être été du à une des débâcles qui semblent frapper la Dranse chaque quelques siècles.

Caché derrière le feuillage qui avance vers la route, c'est le Courvieux, (le vieux cours). On y voit encore des petits canaux d'irrigation en activité et l'emplacement d'un artifice. La Batiaz est tout près, ainsi que Ottan (un village construit sur une dune haute de 30 mètres et qui ont tous deux disparus).

Vers le XII siècle, une frontière avait été établie dans ce secteur, mais je ne sais pas de quoi il s'agissait.

La plaine, quoique de tous temps exploité tant bien que mal, était un espace dangereux en insalubre, aux frontières mouvantes sujettes à de fréquentes disputes entre les communes.

Ainsi entre 1370 et 1382 ( lors d'une décénie que je suppose de disette, puisqu'il y a une grande froidure où même le Rhône gèle) de nombreuses chicanes eurent lieu entre la commune de Martigny * et celles de Saxon et de Fully au sujet des pâturages de la plaine. « Il y eut des meurtres, des incendies allumés sur le territoire de Martigny. Les gens de cette localité prétendaient faire paître leurs chevaux chaque année, de la St-Jean-Baptiste à la St-Michel, dans les maraîches du Grand-Rhône. Ceux de Martigny invoquaient en particulier le droit de faire passer la nuit à leurs troupeaux dans ce territoire en cas de grandes eaux du Rhône qui auraient coupé les chemins de retour. Il paraît qu'une fois les gens des deux villages auraient assailli les gardiens et se seraient emparés des troupeaux. »

* Charrat n'existe pas encore, c'est une terre de Martigny.

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