Du lac de Brienz au Locle, en calèche, à pied, en tricotant: le voyage d'Anna Michel au printemps de 1839. Repérage

1 avril 1839
Le Locle,
Ariane Gualtierotti-Gafner
Ariane Gualtierotti-Gafner

Ce texte est basé sur les écrits d'Hélène Lambert-Perrin (1895-1976), arrière-petite-fille d'Anna Gerber-Frey-Michel (1839-1907).

Dans les années 1960, Hélène Lambert-Perrin rédige un document d'une centaine de pages sur l'histoire de sa famille à partir de nombreux documents tirés des archives familiales mais aussi des souvenirs qui lui ont été transmis oralement par ses ancêtres, à commencer par ceux d'Anna qu'elle a connue. A ces documents (photos, carte postales, illustrations, lettres.) Hélène ajoute ses commentaires et dessins pour illustrer son texte.

Anna Michel est née le 26 avril 1822 à Bönigen (BE), au bord du lac de Brienz. A 17 ans, envoyée par son père, sculpteur sur bois qui y a des clients parmi les horlogers, elle part pour Le Locle apprendre le français. Si son père l'accompagne jusqu'à Berne, c'est seule qu'elle fera le reste du voyage. Heureuse époque où un tel voyage (80 km à pied) semble avoir pu s'effectuer sans crainte par une jeune fille. Son destin est scellé: deux années après son arrivée, Anna épouse Adolpe Frey du Locle. Ils auront 11 enfants.

La voiture postale pour Berne.

LE VOYAGE D'ANNA.
En ce matin de printemps 1839, jour du grand départ, Anna a pour tout bagage une nouvelle paire de chaussures, un sac à dos, un panier à son bras et une petite somme d'argent. Son père et elle marchent jusqu'à Interlaken. Puis ils montent dans la voiture postale qui les emmène à Berne. Au relais de Thoune, Anna achète de la laine pour tricoter. Elle a mis des aiguilles dans son panier car elle a bien l'intention de ne pas perdre son temps durant le voyage. A Berne, ville qu'Anna découvre, père et fille passent la première nuit du voyage dans un hôtel de la Gerechtigskeitgasse. Au matin vient le moment de la séparation. Le père d'Anna rentre chez lui à Bönigen. Elle continuera son voyage seule. Il lui fait ses dernières recommandations: "Suis l'itinéraire que je t'ai indiqué. Si quelqu'un te conseille de prendre un autre chemin, laisse-le parler et fais comme je te l'ai dit. Sois polie et gracieuse avec tout le monde, mais ne fais de confidence à personne. Lorsque le soleil commence à descendre, arrête-toi dans le premier village sur ta route. Ne voyage jamais la nuit. Va frapper à la porte de la cure. Couches-toi et lèves-toi tôt car c'est de bon matin que l'on marche le plus facilement. Et maintenant que Dieu te protège et te bénisse, ma chère fille. Va et ne regarde plus en arrière."

Le bon chemin.

Anna se dirige vers l'ouest. A Bümplitz elle décide d'enlever ses chaussures. "Je suis très bien dans les chaussures que papa m'a achetées mais, en marchant, elles vont s'user trop vite. Les chemins sont ici comme à Bönigen. Puisque là-bas je marchais souvent à pieds nus, ça ira tout aussi bien ici." Anna prend son tricot et se met courageusement en route. Le soir elle traverse le vieux pont couvert sur la Sarine et s'arrête à Gümenen. Au troisième jour de son voyage, tôt partie, elle marche jusqu'à St-Blaise où elle passe la nuit. Le quatrième jour elle traverse Neuchâtel et prend la route qui doit l'amener à La-Chaux-de-Fonds. Anna monte, monte. A la sortie d'une forêt elle aperçoit dans le lointain la chaîne des Alpes: la Jungfrau, le Mönsch et l'Eiger. Ses montagnes! Ce soir-là elle s'endort le coeur lourd dans l'Auberge de la Vue des Alpes. Le lendemain Anne traverse La-Chaux-de-Fonds. En descendant vers le fond de la vallée elle aperçoit enfin Le Locle. Elle se rafraîchit au bord du Bied, un ruisseau qui parcourt Le Locle et remet ses chaussures avant d'aller frapper à la porte de la famille dans laquelle elle est attendue. Elle envoie un télégramme à son père pour le rassurer. Ainsi commence la vie d'Anna au Locle. Après quelques mois elle sera rejointe au Locle par son frère, mais de lui il ne reste aucune trace dans les archives familiales.

LA VIE D'ANNA AU LOCLE.
Anna fait la connaissance d'Adolphe Frey, originaire de Wangen an der Aare (BE), né au Locle, maître-tailleur qui revenait de Paris. Ils se marient en 1842 et habitent au Crêt Vaillant. Ils ont 11 enfants. L'atelier de couture connaît un grand succès. Il compte jusqu'à 30 employés. Chaque année, Adolphe Frey se rend à Paris pour en revenir avec les dernières tendances de la capitale de la mode. De retour d'un de ses voyages à Paris en 1856, et pour lancer la mode de la crinoline, Adolphe oblige sa femme - qui ne veut pas - à revêtir une telle robe pour aller à l'église le dimanche. Le succès est immédiat parmi les élégantes du Locle. Peut-être Anna a-t-elle aussi porté cette robe pour assister à l'arrivée du premier train au Locle, en provenance de La-Chaux-de-Fonds, le 1er juillet de cette même année? Ce même train qui sera fatal à son mari quelques années plus tard.

Anna et sa crinoline.

Le couple aura donc 11 enfants: César en 1843, Adolphe en 1845, Alexandre en 1847, Adèle en 1849, Caroline en 1850, Louise en 1851, Pauline en 1852, Clémentine e 1854, Marie en 1860, Jean en 1861, mort en bas âge. Et en 1862 un enfant mort à sa naissance.

Les 11 enfants.

César, entraîné par un aventurier, part tenter sa chance en Amérique muni d'une importante somme d'argent donnée par sa mère; l'histoire familiale raconte qu'il n'atteint jamais sa destination car il est jeté par-dessus bord en plein océan par son compagnon de voyage qui s'empare de l'argent... Adolphe se marie au Locle. Alexandre fait un apprentissage de graveur. Adèle suit les traces de son père et devient une couturière à succès au Locle et épouse Alexandre Bersot, employé de banque. Caroline épouse un Matthey (de la famille des lamineries du même nom). Louise épouse William Jaccot, ils tiennent le Café du Commerce au Locle. Pauline épouse Charles Pochon. Clémentine épouse Fritz Beck et ils partent pour Maisprach (BL) diriger une fabrique de pierres fines pour l'horlogerie. Marie meurt subitement à l'age de 10 ans, terrorisée par un soldat de l'armée du Général Bourbaki qui, tout à sa joie d'être accueilli, la prend dans ses bras pour l'embrasser alors que la famille, comme toute la population du Locle regarde défiler cette armée dans les rues du Locle.

L'armée du Général Bourbaki.

Le soldat.

Les temps deviennent difficiles. Adolphe tombe malade. La situation économique et l'arrivée d'un maître-coupeur concurrent y participent. Pour assurer l'avenir de sa famille, Anna acquiert la Café de la Poste au Locle. Mais un drame survient dans la vie du couple: Adolphe se jette sous le train et meurt en 1861, laissant Anna enceinte de son dernier enfant qui meurt à sa naissance.

Anna ne se laisse pas abattre et continue à tenir le Café de la Poste dont elle fait un lieu où les gens aiment à se retrouver. Les affaires marchent bien. Elle élève ses enfants avec fermeté tout en leur assurant une vie agréable. Après dix années de veuvage, Anna se marie une nouvelle fois avec un monsieur Gerber habitant Renan, dans le vallon de St.Imier. Ce seront les plus belles années de sa vie, racontera-t-elle plus tard à son arrière-petite-fille Hélène. Malheureusement Anna se retrouve veuve après 4 années de mariage.

Anna quitte Renan et part s'établir à Maisprach où vit sa fille Clémentine. Elle vit agréablement entre sa maison de Maisprach et des séjours familiaux à Brienz, Saint-Blaise, Concise et Le Locle. Anna décède le 20 décembre 1907 à l'âge de 85 ans.

Anna Frey.

Pauline et Adèle, filles d'Anna.

Clémentine fille d'Anna.

Louise fille d'Anna.

Sur cette photo Anna Gerber-Frey-Michel est assise au 2ème rang à gauche. Au 1er rang de gauche à droite: Fernande Jaccot sa petite-fille, Alice Perrin-Bersot sa petite-fille, Jules Perrin mari d'Alice. Au deuxième rang, Anna, Hélène Perrin son arrière-petite-fille, Adèle Bersot-Frey sa fille. Le petit garçon est René Perrin son arrière-petit-fils. Quant à la poupée, rapportée à Hélène par ses parents de l'exposition universelle de Paris 1900, elle vit avec ses vêtements et berceau d'origine chez une arrière-arrière-arrière-petite-fille d'Anna.

Ariane Gualtierotti-Gafner

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  • Claire Bärtschi-Flohr

    Bravo. Très intéressant, en particulier le voyage de Berne au Locle. Très beau témoignage. Les petites vignettes dessinées sont un peu petites, dommage, car elles sont charmantes. Quant aux photos, elles mériteraient une page pour chacune d'elles.