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Les métamorphoses d'une Florentine… Repérage

Vernex-Montreux
Cécile Chombard Gaudin
Cécile Chombard Gaudin

Montreux, 1884 : année faste pour Alexandre Émery. Dernier fils d'un hôtelier d'Yverdon, il s'est formé auprès de son beau-frère, Ami Chessex, mari de sa sœur Rose, propriétaire du Grand hôtel des Alpes à Territet. Il est prêt à voler de ses propres ailes. Il achète un hôtel, l'hôtel du Cygne, à Vernex, et il se marie. L'élue est une jeune veuve, Antoinette Fabricius, sœur de la femme de son frère Gustave, qui apporte une riche dot : 40 000 F, un trousseau impressionnant - dont 24 nappes, 100 serviettes, de l'argenterie, des objets d'art, et un mobilier ébène et or. Alexandre met dans la corbeille de noce l'hôtel du Cygne qu'il vient d'acheter.

Il manque une maison… Le couple attendra une dizaine d'année avant de décider de faire construire sa propre villa, la Florentine. Le projet est confié à l'architecte français Jules Clerc. Il est connu à Montreux pour avoir dirigé la construction du Kursaal et effectué diverses commandes pour Amy Chessex.

La villa est située sur la Grand'rue, à Vernex-Rive, côté lac, juste avant la jonction avec la petite rue montante de la Gare, sur une partie du jardin du premier hôtel du Cygne, construit en 1836 et devenu dépendance du nouveau Cygne construit en 1864. Elle est située aussi près que possible de la Grand'rue (ce qui posera à terme quelques problèmes !) La villa est achevée en 1895. Antoinette peut y installer ses lourds meubles d'ébène et or !

On la voit ici, à droite, après la balustrade des jardins du Cygne.

La villa est disposée en un L ouvert sur le lac, des magasins - de façon surprenante - sont prévus au rez-de-chaussée côté rue. De style italianisant assez éclectique, ses balustres, guirlandes sculptées, balcons, jardin d'hiver, vitraux témoignent du goût d'Alexandre Émery pour la décoration. Son monogramme orne fièrement et la grille d'entrée et celle d'un œil de bœuf du sous-sol.

Cette villa est remarquée par l'éditeur français de monographies intitulées Bâtiments modernes. Un numéro lui est consacré en 1899, qui reprend dessins et plans d'origine. Côté lac, un jardin d'hiver et une salle à manger en avancée encadre un grand salon avec escalier descendant dans le jardin.

Détail du jardin d'hiver, dessin et réalisation:

Côté rue, il y avait ces fameuses boutiques comme on le voit sur les plans d'origine.

Le rez-de-chaussée comprenait deux salons, un jardin d'hiver et une salle à manger. Au premier étage, se trouvaient trois chambres à coucher avec leurs cabinets de toilette, un bureau au-dessus de la salle à manger, et une grande terrasse. Le sous-sol abritait cuisine, buanderie, lingerie, cave, et deux chambres de domestique. Un remarquable escalier en ferronnerie reliait les étages.

Une rarissime photo d'Alexandre Émery (au centre) dans le jardin de sa villa, entouré de sa famille, épouse, frère, belles-sœurs et nièces.

Alexandre Émery vécut dans cette villa jusqu'à sa mort en février 1931. Sa veuve y demeura jusqu'en 1937, date à laquelle elle dut la vendre. C'est alors que commencèrent les métamorphoses de cette luxueuse villa. Je n'ai pas le détail de ses différentes affectations lors de plusieurs ventes successives, mais dans les années 1960, elle devint un modeste hôtel garni, et ce jusqu'en 1987, comme on le voit sur cette photo de la façade Est .

Quant aux magasins, difficile de savoir ce qu'ils étaient à l'origine. Vers 1900, on trouve un "bureau de renseignements" (pour touristes ?) et un magasin de chaussures… Dans les années 1980, ils n'avaient rien de luxueux comme on le voit sur cette photo de 1985.

La villa a failli disparaître. La Grand'rue étant particulièrement étroite à sa hauteur, il paraissait absolument nécessaire de l'élargir pour éviter un goulot d'étranglement de la circulation. Ce fut le sort réservé au Grand Hôtel Monney qui fut détruit en 1966 pour laisser place à l'Eurotel et à son grand parking qui jouxte aujourd'hui la Florentine.

Sur cette vue prise depuis le Montreux Palace, on voit bien combien la situation du Grand Hôtel Monney, juste derrière la villa Florentine, était "désespérée".

Devant la mobilisation de ceux qui voulaient conserver ce témoignage remarquable de l'histoire de Montreux, une solution fut trouvée au début des années 1990 : le trottoir étant supprimé pour élargir la chaussée, un passage pour les piétons fut créé sous les arcades des boutiques dont la profondeur fut réduite d'autant. La photo ci-après donne un aperçu du décor recherché par Alexandre Émery.

Le propriétaire de la villa depuis 1987 (date à laquelle elle fut inscrite à l'inventaire des biens culturels régionaux) put alors réaliser son projet de surélévation. Il s'agissait de construire une attique pour y loger des bureaux. Cette attique est en retrait de 1 m 50 par rapport à la corniche d'origine afin de laisser voir la balustrade qui entoure le haut de la villa. Une restauration remarquable de l'intérieur, fidèle à ce qu'avait voulu Alexandre Émery, et le réaménagement du jardin lui ont rendu tout son lustre d'origine.

La voici telle qu'elle est aujourd'hui :

À ce jour, la villa est à nouveau en vente et qui sait quelles nouvelles métamorphoses lui réserve l'avenir…

Février 2019 : j'apprends que la villa a été vendue à une date que j'ignore et reste fermée aux curieux…

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  • Hotelarchiv Schweiz / Archives Hôtelière
  • Yves Lassueur

    Bonjour Madame Chombard Gaudin. Un grand bravo et un grand merci pour ce récit détaillé et fort bien écrit de l'histoire de la villa Florentine de Montreux. En 2017, vous dites qu'elle est à vendre; savez-vous si c'est toujours le cas aujourd'hui? En tant que photographe habitant Lausanne et passionné par les anciennes demeures du canton, j'aimerais beaucoup pouvoir réaliser des images à l'intérieur de cette villa Florentine d'une incroyable beauté. Savez-vous auprès de qui je pourrais m'adresser pour en faire la demande? En vous remerciant par avance de votre réponse, je vous prie de croire, chère Madame, à mes salutations les meilleures. Yves Lassueur Route du Signal 30 1018 LAUSANNE Tél. 079 - 542 17 91

  • Renata Roveretto

    En effet certainement une des plus belles maisons de Montreux. Un temps il y avait un grand Artiste Bijoutier monsieur Heldner Hubert qui donna des cours de bijouterie dans cette villa.. dans les années 2000. Actuellement si je ne me trompe pas je pense que vous pourriez peut-être le joindre encore sur Montreux à un autre emplacement de la ville (à voir dans le registre téléphonique par vos soin) éventuellement il peut vous informer un peu plus. Si non vous pouvez aussi demander à la commune de Montreux.

  • Roger Bornand

    merveilleux historique, très bien documenté. Bravo!

  • Pierre-Marie Epiney

    Riche documentation ! Merci de votre bel apport !

17 mars 2016
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