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Biographie de Germaine de Weck, née Delacoste (1910-1991) Repérage

Neuchâtel
laurent de Weck
Laurent de Weck

Ma mère passa les huit premières années de sa vie au Brésil, où son père était ingénieur pour le compte des Brazil Railways. Filleule de son grand-père Raoul Couty et de sa tante Marguerite Couty, elle vécut successivement à Passo-Fundo, Rio-Negro et Tres-Barras, qui correspondaient au tracé des chemins de fer en construction. Sa soeur Suzanne est née à Rio-Negro (Parana), le 27 mars 1913. Une photographie, que je tiens de mon cousin Olegario Meylan-Peres, montre ma grand-mère Yvonne Delacoste-Couty, enceinte de Suzanne, dans un jardin, entourée d'une palissade de bois, en compagnie de sa fille Germaine et de ses soeurs, Marguerite et Renée. Toutes sont en deuil de leur père et grand-père, Raoul Couty, victime d'un accident de chasse à Passo-Fundo, le 6 mai 1912.


Ma grand-mère Yvonne Delacoste, née Couty, enceinte de Suzanne, regardant sa fille Germaine, avec deux de ses soeurs: Marguerite alliée Meylan et Renée. Rio Negro (Parana), Brésil, 1912.

Une petite fille, Simone, née à Passo-Fundo, le 8 mars 1911, n'a pas vécu. Mes grands-parents Delacoste-Couty ont visité la Suisse en 1913, afin de rencontrer la famille valaisanne. Une photo de Paul et d'Yvonne Delacoste, avec leurs deux filles, a été prise à Montreux, en 1913.


Mes grands-parents maternels et leurs deux filles, Montreux, 1913.

Une autre photo, prise à Morgins, celle-là, montre ma grand-mère intégrée dans le clan Delacoste-de Lavallaz. Elle mourra à Tres-Barras (Santa Catarina, Brésil) de tuberculose, le 28 février 1918. Mon grand-père décide alors de revenir en Suisse et de faire élever ses deux filles dans sa famille, à Monthey (Valais). La traversée de l'Atlantique se fit en pleine guerre et le bateau où s'était embarquée ma famille, poursuivi par un sous-marin, fit des manoeuvres sinueuses, afin d'échapper à une éventuelle attaque. Germaine et Suzanne furent élevées à Monthey, élèves, toutes deux, au pensionnat Saint-Joseph, tenu sous la direction de Soeur Marie Prosper, par la communauté des Soeurs d'Annecy. Germaine y passa six ans, de septembre 1921 à juin 1927. Pendant leurs vacances, les deux soeurs étaient accueillies chez leur grand-père Edmond Delacoste, conseiller d'Etat, dans la maison de famille de Monthey ou dans le chalet de Morgins, sous l'autorité de leur tante Marie Delacoste.


Mon arrière grand-père, Edmond Delacoste (1854-1927).


Le conseiller d'Etat Edmond Delacoste au milieu de ses enfants. La photo est prise devant la maison Delacoste, rue du Commerce 1, à Monthey (1922).

Mon grand-père, Paul Delacoste, était alors au Congo belge, responsable de chantiers pour la construction de routes, au service de la Minière des Grands Lacs. Ma mère obtint un brevet français de capacité pour l'enseignement primaire (brevet élémentaire), à la suite d'examens passés le 30 juillet 1926 à Annecy. Elle parlait du Pensionnat comme d'une époque heureuse, au-delà de l'absence de son père, que ne remplaçait pas une famille Delacoste, parfois un peu distante.

Un de ces moments heureux fut la représentation d'une pièce d'Henri de Bornier, La Fille de Roland, dans laquelle Germaine Delacoste se vit confier le rôle de Gérald. Ce drame, comme l'appelle son auteur, fut représenté dès 1875 au Théâtre-Français. L'histoire se situe vers l'an 813, à la cour de Charlemagne. Au cours de la pièce, on découvre que le comte Amaury n'est autre que le traître Ganelon, auquel le duc Nayme avait sauvé la vie. Le duc Amaury a un fils beau, brave et valeureux - Gérald - qui tombe amoureux de Berthe, fille de Roland, qui lui-même avait péri, trahi par Ganelon. La vérité éclate au moment où Berthe et Gérald vont se marier. Dès lors, c'est l'amour impossible: les deux jeunes gens se quittent. Charlemagne reconnaissant la valeur de Gérald lui remet Durandal, l'épée de Roland, pour chasser du couchant à l'aurore, nos derniers ennemis comme un troupeau rampant. Berthe, résignée, laisse partir l'homme qu'elle aime en ces termes: Eh bien... je me soumets: qui t'aime te ressemble! Dieu fit nos coeurs pareils: que Dieu seul les rassemble... Une photo témoigne de ce spectacle: la cour de Charlemagne dans le verger du Pensionnat de Monthey.


"La Fille de Roland" d'Henri de Bornier jouée dans les jardins du Pensionnat Saint-Joseph de Monthey (1926). Ma mère est au premier rang à gauche, portant une armure.

Ayant quitté Saint-Joseph en juin 1927, Germaine Delacoste obtint à l'école Pigier de Lyon un diplôme de sténo-dactylographe (30 août 1927) ainsi qu'un certificat de teneur de livres (29 août 1927). Forte de ses succès, elle voulut voyager et apprendre les langues. A la veille de quitter Monthey et sa famille, sa tante Clairette Delacoste écrivit dans son album de souvenirs, le 10 août 1927:

Partir, c'est mourir un peu,
C'est mourir à ce qu'on aime.
On laisse un peu de soi-même
En toute heure et dans tout lieu!

Et l'on part et c'est un jeu.
Et jusqu'à l'adieu suprême,
C'est son âme que l'on sème
A chaque Adieu.
Partir, c'est mourir un peu
C'est mourir à ce qu'on aime

Edmond Haraucourt (1857-1941), Rondel de l'adieu


Ma mère, âgée de 18 ans, lors de son séjour à Londres.

Germaine Delacoste partit pour l'Angleterre et vécut à Londres, du 28 décembre 1927 au 24 mars 1929, en tant que "French governess". Un certificat, daté de St James' Terrace, Regent's Park, N.W.8., 2 décembre 1931, signé F.M. Shattock, nous apprend que Germaine Delacoste a passé quinze mois dans cette famille, en qualité de nursery governess et de language tutor: "(...) She gave me entire satisfaction, was capable, amiable, and won the children's affection. She left us at her own request when a good situation was offered her abroad and we were very sorry to lose her. I can strongly recommend her for any situation of trust, and think her especially suited - from personal opinion - to teach children. Au cours de ce séjour, ma mère suivit les cours d'anglais de niveau advanced, dans une école de Londres - The Polytechnic, Regent street - avec examen final, auquel elle obtint la mention "pass". A en croire son album de souvenir, elle s'est fait beaucoup d'amis en Angleterre, notamment une famille Crouch, dont une certaine Mary lui écrit, le 28 mars 1928:

May the Devil cut the toes
Of all your foes,
That you may know them,
By their limping.

Un ami rencontré chez les Martin, famille valaisanne établie à Londres, avec lesquels Germaine passe Noël en 1928, considère avec philosophie que "Today is the Tomorrow we worried about Yesterday."

Germaine gardait le souvenir d'un deuil national à Londres, durant son séjour: cravates noires portées par les Anglais qu'elle croisait, minute de silence... Aucun roi, ni membre de la famille royale n'étant mort à cette époque, une recherche me persuada qu'il s'agissait des funérailles du maréchal Haig (29 janvier 1928), commandant en chef des forces britanniques durant la Première Guerre mondiale, dont les obsèques furent célébrées à Westminster Abbey, le 31 janvier.

Se trouvant en Angleterre, Maman manqua la visite à Monthey de sa grand-mère Angèle Couty, née Driau, qui, en séjour à Paris, était venue voir ses petites-filles, accompagnée de sa fille Louisette et de son gendre brésilien, dont la légende disait qu'il se mouchait d'une façon très primitive par la fenêtre de l'Hôtel du Cerf, à l'étonnement des Montheysans qui avaient observé la scène...


Mon arrière-grand-mère vendéenne: Angèle Couty, née Driau, née à La Flocellière, en 1867, et morte à Porto Alegre (Rio Grande do Sul), au Brésil, le 19 mai 1939.

De retour sur le continent, Germaine Delacoste, s'établit à Annecy. Un certificat daté du 18 février 1931, nous apprend qu'elle fut employée, du 2 mai 1929 au 18 février 1931 au Service des Approvisionnements des Usines de Roulements à Billes J. Schmid-Roost, dite SRO, fournisseurs des Ministères de la Guerre, de la Marine, de l'Aviation, fabriquant roulements à billes et à rouleaux, paliers de transmission et boites à roulements pour chemins de fer et tramways: Mademoiselle Delacoste nous a donné entière satisfaction sous tous les rapports dans tous les travaux qui lui ont été confiés, et c'est avec regret que nous nous séparons d'elle, cette dernière devant nous quitter par un cas de force majeure; née de parents suisses, ses papiers n'étant pas en règles, les Autorités se refusant à les lui régulariser en raison de la crise du chômage qui sévit en France actuellement.

Quelques lignes dans l'album de souvenirs, écrites par un ami d'Annecy, rendent hommage "à celle dont la foi et la candeur ont fait mon admiration."

Germaine Delacoste revint en Suisse. Elle trouva du travail à Vevey, chez Walther, Grands Magasins de Nouveautés, en tant que sténo-dactylographe. Elle y fut employée du 15 décembre 1932 au 31 août 1935. Sa tante Céline Bioley-Delacoste vivant à Moudon, elles se virent beaucoup durant ces années.


Céline Bioley-Delacoste (1880-1975), soeur de mon grand-père Paul Delacoste.

Désireuse d'apprendre l'allemand, ma mère quitte Vevey pour Vienne, où elle passera deux ans, de 1935 à 1937, vivant de leçons de français qu'elle donne dans différentes familles. Ses qualités de pédagogue seront appréciées, notamment par Hofrat Jng. Adolf Brenn: "(...) Ich kann auch mit besonderer Genugthuung feststellen, dass Frl. Delacoste ein heervorragendes erzieherisches Talent besitzt, welches ihr ermöglicht, jeden Unterricht fü das Kind zu einer geistigen Erholungstunde zu gestalten und dem Kinde nicht nur eine glänzende Lehrerin sondern auch eine gute Freundin zu sein. Wir haben Frl. Delacoste im Familienkreise als äusserst wertvollen ernsten und doch fröhlichen Charakter lieben und schätzen gelernt..."
Un autre témoignage, signé Frau Dr Joseph Eberle évoque des leçons privées, données à sa fille, de février 1936 à juin 1937: "dabei war der Unterricht so anregend, dass er für die Kinder nicht Last sondern Vergnügen war..."

Ma mère évoquait peu la politique; cependant lors de la Fête-Dieu de 1937, elle se souvenait d'avoir applaudi le chancelier autrichien Schuschnigg, qui participait à la procession, et que ses adversaires, favorables à l'Allemagne, huaient...

Elle quitta l'Autriche pour la Suisse, où elle dut passer quelques mois chez sa tante Céline, qui habitait alors Fribourg, rue Grimoux, et louait des chambres à de nombreux pensionnaires. Engagée comme sténodactylo au Secrétariat fribourgeois de la Loterie romande en mars 1938, ma mère retourna néanmoins en Autriche, à Linz, où elle passa les mois de juin-juillet-août 1938, trois mois après l'Anschluss. Elle enseigna le français durant cette période à la Berlitz School of Languages de Linz, et elle y aurait été engagée pour un an, si le directeur de l'école n'avait pas déjà signé un contrat avec quelqu'un d'autre. L'attestation du directeur de l'établissement, M. Schwarz, met en lumière les mêmes qualités pédagogiques relevées dans les documents précédents: (...) Ihrsonniges, heiteres Naturel ermöglichte es ihr, sich leicht auch in schwierige Lagen einzufühlen und auch schwer auffassende Schüler mit grosser Geduld über die Schwierigkeiten hinwegzuführen und so deren Lernlust zu steigern.


Mes parents, Christian et Germaine de Weck (1942).

Sentant la tension politique monter, Germaine Delacoste revint définitivement en Suisse, à Fribourg, chez sa tante Céline, où elle dit avoir passé les plus beaux moments de sa vie. Elle reprit son travail à la Loterie romande, sous les ordres de M. Repond. Elle y resta jusqu'en décembre 1942. Mariée depuis le mois de mai, attendant son premier enfant, ma mère quitta son travail, deux mois avant la naissance d'Hervé. Le certificat que signe M. Repond précise que Mme de Weck s'est acquittée, à notre plus grande satisfaction, des travaux qui lui étaient confiés. Chargée, de plus, des expéditions et responsable de la caisse journalière du Secrétariat, qui doit faire face à d'importants mouvements d'espèces et de billets, spécialement à l'occasion des tirages, Mme de Weck a toujours été de la plus parfaite exactitude.

A la naissance de mon frère Hervé, mes parents habitaient un appartement, rue Grandfontaine 24 à Fribourg, dans deux chambres que leur louaient mes grand-parents de Weck. Ils déménagèrent ensuite à Yverdon, où je suis né le 14 décembre 1947. Mon père y travaillait au service du Département militaire fédéral, en tant que chef du bureau d'Yverdon, chargé de toutes les acquisitions de terrains à usage militaire en Suisse romande. Quittant Yverdon en 1950, mes parents habitèrent Fribourg une maison située dans le quartier de la Pisciculture, à la lisière d'un bois, proche de la Sarine. Des photos de la famille dans le jardin de cette maison en témoignent.


Hervé de Weck et son frère Laurent avec leur mère Germaine de Weck-Delacoste, Fribourg, 1950.

Nous vécûmes successivement dans deux appartements, boulevard de Pérolles à Fribourg: Pérolles 65 (1953-55) puis Pérolles 81 (1955-59). Mes parents traversèrent des moments difficiles en février 1955 lorsque le D.M.F. liquida le Bureau d'acquisitions de terrains d'Yverdon, ce qui laissait mon père sans travail, après 14 ans au service de la Confédération. Il fallut bien des tractations, le recours au Conseiller fédéral Paul Chaudet, avec lequel mon père eut une entrevue et un échange de lettres, le conseil de personnalités vaudoises (Me Pierre Ramelet, dont ma tante Suzanne Delacoste était la secrétaire, le conseiller national Michel Jaccard, rédacteur de La Nouvelle Revue de Lausanne), la pugnacité de ma mère, qui écrivait des suppliques, pour que mon père soit réintégré comme fonctionnaire de la Confédération. Il en fut ainsi: chargé à nouveau de l'acquisition des terrains à usage militaire, il travailla désormais dans le Jura bernois. Le D.M.F. projetait de faire construire une place d'armes à Bure, mon père estima les terrains que la Confédération devrait acheter. Les tensions de 1955 ne furent pas étrangères à la maladie de ma mère, qui souffrit d'une grave dépression en 1957. Soignée dans le service neurologique du Dr Markwalder à l'hôpital de l'Ile à Berne, elle passa des mois critiques, dont le souvenir est douloureux. Je fis moi-même des séjours chez mes tantes de Weck, le premier à Pérolles 20, chez tante Elisabeth, l'autre à Berne, Kirchenfeldstrasse, chez tante Colette, dont le mari, Charles Stucki, avait été Ministre de Suisse en Grèce pendant la guerre, puis Chef du Protocole au Palais fédéral. Je fus confirmé à l'église du Christ-Roi à Fribourg durant la maladie de ma mère.

Nous quittâmes Fribourg en 1959 pour habiter Porrentruy, d'abord dans un bel appartement au troisième étage de l'Hôtel de Gléresse, alors Préfecture, puis rue du Temple 2, dans un appartement que ma mère occupa jusqu'en 1985.

C'est à l'époque de Porrentruy que la soeur de ma mère, Suzanne Delacoste, que nous appelions Tante Suzon, romancière et journaliste, est morte à Lausanne, avenue des Alpes 1, le 10 mai 1963.


Suzanne Delacoste (1913-1963)

A Porrentruy, je fréquentai huit ans le collège Saint-Charles, où enseignaient des chanoines de Saint-Maurice, sous la direction du chanoine Edgar Voirol. Ma mère m'a particulièrement poussé à réussir mes études: le souvenir des ennuis professionnels de mon père, dont la scolarité avait été lacunaire, n'était pas étranger à cette détermination. C'est à Porrentruy que Germaine put enfin enseigner: elle fut chargée, dès 1963, de tenir l'école des loisirs, où les jeunes élèves de l'école primaire faisaient des devoirs surveillés, puis l'école des Ursulines lui confia la première année, qu'elle tint jusqu'en 1978. La mort de mon père le 2 mars 1972, mon mariage en 1973, amenèrent une dégradation de l'état nerveux de ma mère. Une nouvelle dépression, en 1978, nécessita un traitement chez le Dr Lévy à Neuchâtel, qui dura près de 12 ans. En 1985, ma mère quitta Porrentruy pour habiter le joli appartement de l'avenue DuPeyrou 10, au deuxième étage, voisine de notre amie Françoise Redard, qui veilla sur elle. La dégradation de sa santé physique et morale nécessita qu'on l'hospitalisât, à la Providence, puis aux Cadolles, avec séjours de convalescence à la clinique de La Lignière, près de Gland (décembre-janvier 1990-91). L'installation de rampes dans son appartement n'empêcha pas des chutes répétées. Elle passa cinq mois au home de Bellerive, au bord du lac de Neuchâtel, puis mourut d'une occlusion intestinale, à l'hôpital de la Providence à Neuchâtel, le 3 octobre 1991.


Ma mère dans le salon de la Balance, Neuchâtel, le 4 mai 1989.

Ma mère avait une nature joyeuse et de la fantaisie. La souffrance d'avoir perdu sa propre mère à huit ans, l'absence de son père, les difficultés financières, les soucis en tous genres, provoquaient chez elle des états d'amertume, et dans ces moments-là, plus personne ne trouvait grâce à ses yeux.

Curieuse de littérature, elle était avide de "se cultiver", comme elle disait, et lisait beaucoup de romans français et anglais, et aussi de la poésie. Je me souviens d'avoir vu ses notes de lecture, qu'elle n'a pas jugé bon de conserver. Elle n'avait pas une approche intellectuelle de la littérature: par dessus tout, elle aimait que son coeur fût touché. Elle avait certainement le goût du théâtre et en avait le talent: elle avait monté à Fribourg, pour les enfants du quartier, un spectacle auquel Hervé et moi avons participé. Je l'entends encore réciter, les mains sur les hanches, la tirade de Flambeau dans L'Aiglon d'Edmond Rostand: cet ancien soldat de Napoléon s'était introduit à Schönbrunn, sous l'apparence d'un laquais, auprès du jeune fils de son Empereur et il évoquait ainsi devant lui le courage des grognards:

Et nous, les petits, les obscurs, les sans-grades,
Nous qui marchions fourbus, blessés, crottés, malades,
sans espoir de duchés ni de dotations,
Nous qui marchions toujours et jamais n'avancions...

Lui, Jean-Pierre Séraphin Flambeau, dit "le Flambard", né de papa breton et de mère picarde... Faits d'armes: trente-deux. Blessures: quelques-unes. Ne s'est battu que pour la gloire, et pour des prunes.

Les goûts poétiques de Maman allaient aux grands poètes français, notamment à la comtesse de Noailles, dont elle aimait:

Il fera longtemps clair ce soir, les jours allongent,
La rumeur du jour vif se disperse et s'enfuit,
Et les arbres, surpris de ne pas voir la nuit,
Demeurent éveillés dans le soir blanc, et songent...

On n'ose pas marcher ni remuer l'air tendre,
De peur de déranger le sommeil des odeurs.

Ce goût de la poésie l'a poussée à écrire des vers, le prétexte étant d'aider son fils aîné, qui devait composer des poèmes comme devoirs, en cinquième du collège Saint-Michel, à Fribourg. Je retiendrai Cimetières sous la lune:

De son brillant séjour la lune mystérieuse
Promène ses rayons sur l'ombre qui s'enfuit.
Dans la cité des morts, les oiseaux de la nuit
S'envolent lentement d'une aile silencieuse.

Mais un gémissement s'élève vers le soir;
Des caveaux entrouverts s'échappent des squelettes
Qui marchent en faisant un bruit de castagnettes;
Bientôt ils danseront autour des marbres noirs.

Ils poussent des soupirs et d'un rictus énorme
Semblent narguer au loin l'astre froid des tombeaux,
Qui regarde, étonné, ces étranges robots
Traînant sur les sentiers des phalanges difformes.

Mais l'ombre les surprend dans leurs sombres ébats.
Les morts vont regagner leurs sinistres demeures;
Car au clocher voisin s'éparpillent les heures.
Elles ont interrompu la danse du sabbat.

LdW, 1991 (revu en 2015)

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Laurent de Weck
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18 mai 2015
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