Antarctique: (9) La chasse aux phoques et aux pingouins

1 janvier 1902
Snow Hill Antarctique
Erik Ekelöf (1875-1936)
Monique Ekelof-Gapany

La chasse aux phoques Photo Erik Ekelöf, 1902

Les chaloupes sont à la mer, marins et naturalistes rament vers l'Ile Nelson. Les hommes sont accueillis sur cette île par des rangées de pingouins. La rencontre avec ces milliers de volatiles, alignés face à la mer, est saisissante. Les hommes se frayent un passage parmi eux et se faufilent entre leurs nids. Les oiseaux géants, comiques et solennels, se déplacent en se dandinant. Lorsque les hommes s'approchent trop des nids, les parents, mécontents, tentent de les chasser en frappant à coups de bec les lourdes bottes des intrus et en les fouettant de leurs minuscules ailerons. Pour paraître encore plus menaçants, ils font gonfler leur jabot et marquent leur désapprobation d'un roucoulement rauque. Puis en dodelinant de la tête ils se regardent comme pour rechercher parmi leurs semblables approbation, réconfort ou résignation.

Les hommes se dirigent vers un groupe de phoques qui somnolent, paresseusement vautrés sur les rochers du rivage.
Erik s'approche d'un phoque de Weddell, au pelage argenté. L'animal marin se laisse caresser, immobile et confiant. Sa fourrure soyeuse, aux reflets de perle grise, rayonne d'une douceur qui subjugue le médecin.

Soudain, l'un des marins pousse un cri, suivi d'un coup de feu. C'est le signal: la chasse est ouverte!

Durant près de quatre heures, un carnage affreux s'abat sur cette île paisible.

Les animaux voient les humains s'approcher d'eux et meurent sous leurs coups. Ils n'opposent aucune résistance, comme s'ils se résignaient à céder leur monde pacifique et intemporel contre un monde qui allait appartenir pour toujours à ces êtres étranges, agités et bruyants, qu'ils découvrent en mourant.
Près d'une centaine de phoques sont massacrés, abattus, dépouillés, dépecés.

Photo G. Bodman, 1903 Abattage de pingouins

On transporte le butin à bord du navire. Les chaloupes, lourdement chargées, menacent de prendre l'eau. On cherche l'écope. C'est Karl A. Andersson, le zoologiste qui l'a empruntée pour y loger ses trouvailles marines. Carl Skottsberg, le botaniste, prête l'une de ses bottes aux hommes du canot, pour vider l'eau qui s'infiltre dans la barque. Il emporte à bord son trésor de lichens, de mousses et de pierres.

Le soir, on prend joyeusement le café sur le pont. Les marins sont fiers des prises dont ils pourront négocier les peaux, une fois de retour au pays.

Le lendemain, le bateau entre dans les eaux du golfe Erebus et Terror, ainsi nommé par Ross et s'approche de l'Ile Paulet, une île volcanique découverte par ce même explorateur, le 30 décembre 1842.

Chacun se prépare au débarquement. Erik utilise pour la première fois un canot fabriqué dans les ateliers de l'Hôpital d'Uppsala, d'après ses plans. Cette embarcation légère suscite intérêt et admiration par son aisance à se faufiler entre les blocs de glace flottante qui enserrent le rivage.

Le cri de milliers de pingouins s'élève à l'approche des hommes. Les naturalistes moissonnent des algues, des mousses et des crustacés tandis que Sobral, le militaire argentin, révolver au poing, fait feu sur d'innocents pingouins, à la désapprobation générale.

L'Ile Paulet est peuplée d'oiseaux: des albatros gris-bruns qui planent, indifférents à la présence humaine, des cormorans, des pétrels, des hirondelles de mer et des oiseaux ressemblant à de blanches colombes. À l'intérieur de l'île, un lac aux eaux claires occupe le bassin d'un ancien cratère. Partout, des pingouins sont alignés ou postés sur des rochers, en sentinelles étonnées, habillées d'un costume noir et d'un plastron empesé.

L'´île entière est enduite de guano qui s'étale en plaques ou en traînées roses et gluantes sur les rochers et exhale une odeur nauséabonde. Mr Stokes, le peintre, glisse sur les rochers et se fait une distorsion des doigts de la main gauche.

Coucher de soleil sur l'Amirality Bay, d'après F. W. Stockes 1902

De retour sur le navire, on met le cap en direction du cercle polaire Antarctique. Soudain apparaît, à l'avant du bateau, immobile sur une plaque de glace, une étrange vision. La créature sombre bouge sa tête, posée sur de larges épaules. Elle paraît indécise, comme si elle pressentait un événement désagréable à l'approche du bateau. Le bruit du moteur s'éteint, une chaloupe est prestement descendue à la mer, puis l'éclat d'un fusil brise le silence. Le bateau passe sur des flots teintés de pourpre. Blessée, la bête s'affaisse dans la neige. Elle n'émet aucun cri, elle souffre silencieusement et fixe les hommes avec une étrange indifférence. Ses ennemis s'approchent. Elle semble les identifier et tente quelques faibles mouvements pour leur échapper mais les matelots l'étranglent immédiatement et traînent son corps ensanglanté sur la neige.

Par sa taille importante et son air de mélancolique majesté, le manchot empereur porte fièrement son nom jusque dans ses derniers instants.

D'après le journal d'Erik Ekelöf (1875-1936)

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Monique Ekelof-Gapany
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17 mai 2015
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