Le phare des Pâquis a eu 120 ans ce 21 avril

1 février 2014
Eric Court
Eric Court

Dans l'édition du Journal de Genève du dimanche 22 avril 1894 on pouvait lire, dans la "Chronique locale" cet entrefilet :« *Hier soir, le nouveau phare a commencé à fonctionner. Les lumières vertes et blanches alternent toutes les deux ou trois secondes ».*C'est donc bien, le samedi que le feu flambant neuf du bout du lac a émis sa première signature optique. Ce nouvel édifice venait remplacer, celui devenu obsolète, construit dans la foulée des jetées qui bardent la Rade. Il est très probable que Monsieur Émile Charbonnier, alors 3e Ingénieur Cantonal, s'est rendu, accompagné de l'architecte neuchâtelois Paul Bouvier à la tombée du jour, à la pointe des Pâquis pour voir le résultat de leur travail.

Mais un retour dans le temps s'impose pour comprendre la présence d'une telle construction. Jusqu'en 1823, les bateaux étaient confrontés, à leur arrivée dans la cité de Calvin, à l'existence d'un haut fond plus connu sous le nom de « Banc de travers ou Grand-banc ». Celui-ci courrait de « la pointe de Sécheron[1] » aux « Pierres du Niton ». À cette époque, il était coutumier que les navires s'échouent sur cet obstacle. Pour améliorer les conditions de navigations, on décide de draguer un chenal en 1823 et on se dote d'un nouveau port. Le projet de Léopold Stanistlas Blotnitzki, trouve l'approbation du Grand Conseil le 27 décembre 1856. La construction des jetées débute quelques jours plus tard en janvier 1857. Ces infrastructures offrent un plan d'eau « protégé » de 33 hectares qui prendra à choix le nom de «Port Général ou Rade ».

Dès lors, pour pénétrer dans la passe, il devint indispensable aux navires de pouvoir « s'aligner », jour comme nuit, sur un « amer[2]remarquable ». On édifia alors au musoir du brise-lame des Pâquis un premier phare dessiné dans le style « Beaux Arts ». Ce fanal, haut de 7 mètres, était constitué d'une base octogonale en pierre de taille, surmontée de quatre colonnes de fonte supportant une lanterne. Sous la direction du physicien Elie François Wartmann son feu fixe s'illumina, la première fois, le 6 décembre 1857. Il avait la particularité audacieuse de fonctionner à l'électricité. Les réglages délicats de « la lampe à arc » et des problèmes de condensations eurent raison de cette expérience qui durera quatre mois. On en revint alors à la lampe à pétrole.

Dans les années qui virent s'installer, dans la métropole genevoise, la seconde Exposition Nationale Suisse, le développement de la zone lacustre prit son élan. Dès 1858, le port de la Scie [3]suranné est détruit. La construction du pont du Mont-Blanc en 1862 « ferme » le nouveau bassin lui donnant sa forme trapézoïdale définitive. Le Jet d'eau jaillit en 1891, du môle des Eaux-Vives, pour célébrer les fêtes [4]du Centenaire. Puis, dans la perspective de l'Exposition Nationale,on embellit la Rade pour accueillir les visiteurs de la manifestation qui ouvre ses portes le 1er mai 1896. On érige des réverbères à gaz sur les quais et le pont du Mont-Blanc. Toutes ces transformations architecturales et les progrès technologiques des lentilles de Fresnel ont des effets sur le patriarche des Pâquis.

Les raisons du changement.

Dans un document daté de 1893, Emile Charbonnier décrit son projet de restauration du phare. Il nous donne des renseignements sur celui devenu archaïque et sur les avancées techniques du moment. Dans son introduction, il nous explique:

« La lanterne à laquelle on ne parvient que par une échelle en fer ne peut être nettoyée que très imparfaitement et cette opération présente de sérieux dangers pour le gardien du phare. La lumière est à une hauteur insuffisante. Elle apparaît en effet au même niveau que les réverbères du pont du Mont- Blanc et des quais. Enfin, la lumière est beaucoup trop faible. Elle est presque effacée par les réverbères et elle n'est visible qu'à une distance de 2 kilomètres environ par temps clair».

Puis il poursuit en proposant l'implantation d'une tour métallique d'une douzaine de mètres surmontée d'un kiosque vitré protégeant un appareil lenticulaire tournant. Pour l'éclairage, il écarte l'électricité au profit du gaz donné par seul bec de type « Auer ». Il prévoit pour la rotation de l'optique une mécanique d'horloge animée par des contre poids que le gardien remonterait toutes les 72 heures. Le document continue par une étude financière, d'un coût estimatif de 22.500 Frs pour l'ensemble du projet comportant aussi un phare secondaire au musoir des Eaux-Vives. On y apprend que la CGN [5]se propose de participer à hauteur de 2.000 Frs. Est joint, le devis de 9.450 Frs. de la maison parisienne Barbier & Fenestre pour un appareil lumineux de 5e ordre, d'une lanterne octogonale surmontée d'une coupole en cuivre rouge, d'une girouette et d'un paratonnerre à pointe de platine!!! Au final, le Grand Conseil ouvre un crédit de 10.000 Frs. pour l'unique réalisation de l'édifice principal des Pâquis. On confie à l'entreprise genevoise Schmiedt la construction de la tour et du dôme métallique. On passe commande à Paris exclusivement pour les éléments techniques et optiques. Les travaux débutent en octobre 1893. Pour assurer une bonne « portée géographique [6]» à son phare, Emile Charbonnier et Paul Bouvier ont l'idée de récupérer, de l'ancien fanal, la bâtisse octogonale en pierre et les 4 colonnes en fonte pour étayer une nouvelle base d'appuis. Par cette astuce, au final, l'édifice mesure 18,70 mètres et son foyer luminescent se situe 15 mètres au-dessus du niveau de l'eau. Dès lors on pouvait l'observer à 15 km. Aujourd'hui les « lentilles parisiennes » tournent toujours entraînées par la mécanique d'antan. Seuls, les contrepoids et l'éclairage à gaz ont été remplacés par un petit moteur et une ampoule mus à l'électricité en octobre 1949. Pour certaines personnes, au temps du GPS ce phare n'a plus sa raison d'être. Cependant il semble difficile d'imaginer la rade bouclée de ses deux digues, sans sa présence équilibrant le Jet d'eau. De jour comme de nuit, il peut rappeler, aujourd'hui encore, aux plaisanciers sur leurs quillards aux lestes généreux, que le haut fond au nord des Bains demeure.

Ce lundi de Pâques 21 avril 2014, il atteindra ses 120 années de bons et loyaux services. Une bonne occasion, peut-être, de le «pavoiser».

Genève, février 2014. Eric Court

PS Je remercie par avance toute personne qui aurait des informations, commentaires ou corrections de me les faire parvenir à : informations@phare-des-paquis.ch

Principales sources consultées

Archives que M. Gard, ancien gardien du phare, m'a prêtées pour consultation. / Journal de Genève 1893-4. / Genève les Bains (AUPB 1996). / La Genève sur l'eau (B. Frommel, ed. Wiese, 1997).

Toutes ces informations sont sur le blog : phare-des-paquis.ch

[1]L'actuelle Perle du Lac

[2] Un amer remarquable, se dit d'un point clairement indentifiable sur l'horizon. Il permet au navigateur de relever son azimut afin de positionner son bateau sur la carte.

[3] Il se situait dans l'espace du Jardin Anglais et du parking sous-lacustre du Mont-Blanc

[4] Pour fêter les 600 ans de la Confédération, Genève reçut le 19 juillet la fête fédérale de gymnastique. À cette occasion, le Jet d'eau jaillit la toute première fois. Pour le 1er août, on ajouta à « la fontaine lumineuse » 4 jets complémentaires et on installa sur des barques, des projecteurs pour colorer les gerbes d'eau.

[5] Compagnie Générale de Navigation.

[6] La portée géographique d'un phare correspond à la distance absolue à laquelle, à cause de la rotondité de la terre, on ne perçoit plus le faisceau lumineux. Une seule solution pour augmenter cette distance, élever le foyer du phare.

La portée géographique : PG (en mille nautique) = 2.1 x (√2 hauteur du phare + √2 hauteur de l'observateur).

PS 1 mille nautique = 1852 mètres.

Eric Court
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