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Agrandissement de la cabane de Moiry

18 septembre 1949
moiry anniviers
© Collection Sylvie Bazzanella & Michel Savioz
Michel Savioz

Agrandissement de la cabane de Moiry

Article tiré de : Les Alpes, 1949

Il est réconfortant de constater que les hommes de notre temps, dont on dit tant de mal, sont cependant capables de s'enthousiasmer, de s'emballer pour des choses et des causes désintéressées. De se dévouer aussi, et l'un des champs d'activité où cet esprit d'altruisme se manifeste le plus fortement est l'alpinisme. Qu'une section du club, qu'un groupe, si faible et pauvre soit-il, se propose d'édifier un refuge ou un simple chalet, c'est aussitôt un regain extraordinaire de vitalité; les bonnes volontés, les dévouements affluent; on se passionne; tous sont heureux et fiers de participer à l'action. Et l'on fait ainsi de grandes choses. La plupart de nos cabanes sont des œuvres de foi et d'amour.

Telles étaient les pensées que je roulais dans ma tête en redescendant de Moiry, où j'avais assisté à la cérémonie d'inauguration de l'agrandissement du refuge. Peu après la première guerre mondiale, quelques fervents montagnards de la section de Montreux, Paul Kues, Marius Nicollier, H. Wellauer, commencèrent à rêver, non pas à «un petit chalet là-haut», mais à une belle cabane dans les hautes Alpes. La question de l'emplacement fut longtemps discutée. Moiry finit par l'emporter sur Tourtemagne; l'architecte A. Schmitt en conçut les plans; Justin Salamin fut l'entrepreneur, et le coquet refuge fut inauguré en octobre 1924.

Il pouvait abriter trente-cinq personnes. C'était beaucoup pour l'époque, et certains pessimistes prédisaient que la cabane serait peu fréquentée. La suite allait leur donner un beau démenti. Au bout de quelques années, elle s'avéra insuffisante à loger ses hôtes. Les projets d'agrandissement, lentement mûris, puis approuvés; les crédits assurés, on put passer à l'exécution, qui comporta deux étapes. En 1948 on aménagea l'emplacement en faisant sauter des masses de granit; le bel été 1949 permit de pousser rapidement et d'achever la construction. La cabane a été exactement doublée par un prolongement à l'est. Au rez-de-chaussée, une grande salle, la cuisine, la chambre du gardien et un petit local pour l'hiver - dortoir-réfectoire-cuisine - qui peut être isolé et facilement chauffé. A l'étage deux nouveaux dortoirs. Le raccordement avec la partie ancienne est si habilement exécuté qu'il est presque invisible. Dimanche 18 septembre, soit 25 ans après la première inauguration, nous sommes montés à Moiry pour consacrer la nouvelle cabane. Tout au long du sentier, clubistes, amis, invités, gens de la vallée se hâtent vers le refuge dont le toit de cuivre rutile au soleil. Temps splendide entre les sommets poudrés de blanc, la grande cataracte des séracs est figée dans l'air bleu. De même que la construction, la cérémonie comportait deux parties. Celle de Moiry fut de caractère strictement religieux.

© Photo collection Yves Vouardoux

Le curé Pahud de Montreux célébra la messe, secondé par la Société de chant de Grirnentz renforcée d'un chœur de jeunes filles de la paroisse. En face de ce site d'une inexprimable grandeur, les chants liturgiques sont profondément émouvants. S'adressant" aux clubistes, l'officiant les invite à voir en cette œuvre le témoignage de la confiance et de la compréhension mutuelles qui lie les montagnards de la plaine à ceux de cette vallée. M. Faes, pasteur à Villeneuve, célébra le culte protestant. La montagne et la cabane, dit-il dans son allocution, ne sont pas un but en elles-mêmes, elles doivent nous mettre dans l'état d'esprit nécessaire pour savoir entendre la voix d'en haut. Selon la coutume, le président Badoux remit la cabane au C. A. S., représenté par M.Schori, qui à son tour en confia la gestion aux soins de la section de Montreux.


© Album de Mariette Melly, collection Pierre-Marie Epiney

Une note tragique vint s'ajouter à la solennité de la cérémonie. Les derniers accords de la Prière patriotique vibraient encore lorsque se répandit la nouvelle du décès du curé Adrien Bonvin de St-Luc, terrassé par une crise cardiaque à quelques minutes de la cabane. Cela jeta quelque mélancolie sur le pique-nique servi par la section à ses invités.

Jean-Baptiste Salamin, © Collection Clément Salamin

Dans l'après-midi tout le monde reprenait le chemin de la vallée où devait avoir lieu la fête civile. Avant le banquet, nous fûmes les hôtes de la bourgeoisie de Grimentz qui nous offrit le verre de l'amitié. Il aurait dû être versé par les jeunes filles sur la place du village; mais en raison du deuil qui attristait la vallée, nous fûmes reçus dans la salle de la commune. M. Rouvinet, président de la bourgeoisie, nous y adressa un salut de bienvenue.

Le soir, il y a plus de cent personnes réunies dans la salle de l'Hôtel des Becs de Bossons. Avant de nous inonder sous des flots d'éloquence heureusement entrecoupés par les chansons d'un gracieux quatuor de voix féminines, les quatre filles de Justin Salamin. P. Badoux salue ses invités, en particulier M. Rouvinet, représentant les autorités de Grimentz, M. le Conseiller d'Etat Edm. Jaquet et M. A. Mayer, syndic des Planches. Il fait un bref historique de la construction, remercie tous ceux qui y ont collaboré avec l'enthousiasme et le cœur qui animaient les promoteurs de 1924. Il remercie également la population de Grimentz de la confiance et de l'accueil qu'elle a toujours accordés à la section de Montreux. Cette dernière a construit la cabane, mais Grimentz l'a adoptée, comprenant que c'était là un nouveau fleuron de sa belle vallée. Une kyrielle d'orateurs apportent leur tribut de félicitations et de reconnaissance; nous ne citerons que Mme Morerod, présidente du C. S. F. A., qui offre à la cabane une partie son trousseau.

Vint le 3e acte de la fête. Car ce n'était pas un jour de gloire pour Montreux seulement, mais aussi pour celui qui, directement ou indirectement, pour toutes sortes de raisons, doit être considéré comme l'artisan de ce succès, le père tutélaire de la cabane sur laquelle il a veillé avec sollicitude pendant 25 ans, je nomme Jean-Baptiste Salamin. En témoignage de la reconnaissance du C. A. S., P. Badoux lui remet un chronomètre en or, et l'ovation qui salue le jubilaire est une autre preuve de l'affection et du respect qui l'entourent. Car Jean-Baptiste a exerce sa charge de gardien non pas comme un métier, mais comme un apostolat, et aucun des milliers de touristes qui ont passé à la cabane de Moiry ne sourira à cette affirmation. Il dira lui-même, dans une allocution qui était une véritable profession de foi, et dont la simplicité, la sincérité, la modestie et la hauteur de pensée émurent profondément, comment il conçoit sa mission: Le glacier de Moiry et sa couronne de cimes ne sont pas seulement un terrain de jeu, de délassement, c'est pour lui comme un autel et la cabane est comme un temple. Son rôle n'est pas seulement de veiller au confort et au bien-être de ceux qui viennent s'y retremper, mais de faire mieux comprendre, admirer, aimer et respecter la montagne. Non seulement il fait régner l'ordre, la propreté et la joie dans sa cabane, mais aussi la décence. Et il court une jolie histoire contant de quelle façon discrète mais efficace il rappela au respect des convenances, une naïade qui prenait terrasse du refuge pour une plage. Dehors, la pluie s'était mise à tomber, obligeant maints participants, la fête officielle terminée, à chercher un abri dans la cave accueillante de Jean-Baptiste. L.S.

Texte & photos, © Collection Sylvie Bazzanella, Yves Vouardoux, Pierre-Marie Epiney & Michel Savioz

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