Une grande amitié entre Francine Simonin et Victor Desarzens

14 avril 2013
Lausanne
Martine Desarzens
Martine Desarzens

Francine Simonin est née à Lausanne. A l'adolescence, elle reçoit la biographie de Paul Cézanne écrite par Ambroise Vollard. Cet ouvrage déterminant dans sa carrière de peintre, la suit dans tous ses déplacements.

Nous sommes juste après-guerre et Lausanne devient pour quelques années une ville choyée, les artistes, musiciens, danseurs et gens du théâtre de l'Europe entière s'étant réfugiés sur les bords du Léman.

La vie artistique lausannoise est riche. En sortant des beaux-arts, Francine s'installe dans un atelier au Rotillon, elle n'a pas un sous, pour manger elle donne des cours de gravures et pouvoir peindre.

Le Rôtillon à Lausanne, aujourd'hui entièrement détruit, était le quartier lausannois où vivaient de nombreux artistes et artisans. Nous adorions ce quartier et rendions visite à Francine presque chaque soir. Dans l'immeuble où était son atelier il y avait également, Jean-Claude Hesselbarth, et beaucoup d'autres artistes.

Film de Liliane Annen sur le Rôtillon voir ;http://www.notrehistoire.ch/video/view/1023/

Et aussi ;http://www.notrehistoire.ch/photo/view/47265/

Et aussi :http://www.notrehistoire.ch/photo/view/39952/

Les bistrots à la mode de cette époque sont le Bœuf rouge, le Chat noir, la Vieille chaumière, le Lyrique, elle côtoient tout ce que Lausanne compte d'artistes et d'écrivains : les peintres ; Marcel Poncet, Pierre Estopey, Arthur Jobin, Jean-Claude Hesselbarth, Denise Voïta, Casimir Raymond, André Gigon, Oscar Chollet et l'écrivain et Jacques Chessex, nous sortions beaucoup dans ces bistrots et aimions la présence de Francine Simonin et de ces nombreux artistes.

Francine Simonin a fait la connaissance de Victor Desarzens, mon père, lorsqu'elle était encore élève à L'Ecole des Beaux Arts au Musée Arlaud à Lausanne, avec ma sœur Marie-Christine Desarzens, en 1958.

Leurs professeurs étaient Marcel Poncet, Charles Chinet, Casimir Reymond, Jean-Jacque Gut, René Berger, Albert Yersin, Jean-Pierre Kaiser, et tant d'autres grands artistes vaudois, tous amis de mes parents.

J'ai fais la connaissance de Francine Simonin à cette époque. J'allais chercher ma sœur à l'Ecole des Beaux Arts, j'aimais entrer dans cette belle maison de maître devenue école d'art....le grand escalier central, les salles de classes, la verrière puits de lumière, l'odeur de la peinture, de la térébenthine, de la terre et les étudiants dans leurs grandes blouses tachées de peinture….pour moi encore écolière, tout était magique, hélas je n'avais aucun don pour l'art et je savais déjà que je m'orienterai vers une formation sociale.

Aux beaux-arts, Francine Simonin qui travaillait la gravure avec Jean-Pierre Kaiser nous impressionnait par la force de son travail ; des toiles gigantesques, l'encre de chine, les noirs, de gros pinceaux.

Elle a déjà croisé Victor dans des vernissages et lors des après concerts au Lyrique, mais le personnage l'impressionne trop pour oser lui adresser la parole. Jusqu'au jour où on l'invite à pousser la porte de la maison d'Aran, photo ci-dessous.

Aran, la maison familiale, un lieu où personne ne pénètre sans recevoir la bénédiction du maître de maison. « Ah ! c'est toi la petite peintre ? Viens t'assoir ! » La glace est brisée ; les idées, les questions peuvent fuser. Francine a désormais sa place entre la marmite et la broche, entre Proust et Dostoïsvki, entre les notes et le pinceau.

« On parlait uniquement musique », se souvient-elle. « Depuis l'épisode communiste, la politique avait déserté la salle à manger. Mais la musique au sens large ; celle des mots, des couleurs autant que celle des sons. Victor, grâce à une curiosité et un rayonnement exceptionnels, m'a démontré combien le phénomène de la création était profondément ancrée en chaque artiste, combien il était tenu par les mêmes fils que l'on soit peintre, sculpteur, écrivain ou musicien. » Particulièrement sensible à la puissance Francine Simonin n'a de cesse de questionner ce « chef qui lit » sur les vibrations musicales que déclenchent chez lui telle page d'Henri Michaux, tel passage de L'Idiot, « ouvrage qui du bout à l'autre évoque la phénomène de la création, de la transformation de l'être au travers de sa vision, de l'ouïe…. ». Elle le suit sur parole lorsqu'il l'invite à se moquer de ce que les gens peuvent dire d'elle et de son œuvre et l'encourage de voir grand. « Si tu es ouverte, ma petite, tu dois comprendre ! Les autres ne sont que des imbéciles, ils n'ont simplement pas la chance de posséder un tel bagage, d'avoir connu Marcel Poncet ! »

  • Marcel Poncet dans sa maison de Vich, peintre, professeur de Francine Simonin et ami de Francine et Victor.

Et puis, alors que les années passent et que le temps semble combler le fossé de la différence d'âge, la prise de conscience d'une certaine communauté de destin : celle d'artiste, l'un face à la toile blanche, l'autre devant son piano et une partition encore vierge de toute annotation, qui irrémédiablement, quelque soit l'heure de la vie, se demandent s'ils ont quelque chose à dire.

  • J'ai reçu cette oeuvre de Francine à la mort de mon père Victor Desarzens.

Question hautement existentielle pour Francine Simonin, qui ne peut trouver de réponse valable ailleurs que dans le travail, dans l'acharnement, « ne jamais lâcher, toujours essayer, jusqu'à ce moment soudain où tout devient simple, où tout bascule dans l'évidence…c'était donc ça ! »

« Un artiste, qu'il soit peintre ou chef d'orchestre-je l'ai compris au contact de Victor- n'a d'autre choix que d'avoir quelque chose à se dire…ou se taire. »

  • Antonin Scherrer, biographe de Victor Desarzens, Tout là-haut sur la terre, Victor Desarzens et son temps. Ed. de l'Air. 2008. Page. 118.

  • Francine Simonin en m'offrant ce petit tableau en 1997, a écrit; Pour Martine en souvenir de nos soirées au marcassin à Aran.
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