5. Le poète

Fondation Maurice Zermatten

"Qu'une page, une seule, donne à un enfant la clef du monde et celui qui l'a écrite mérite la reconnaissance des hommes. Qu'une ligne écrite révèle la beauté des choses et la mémoire du poète doit être vénérée de génération en génération. Les siècles passent; les civilisation s'écroulent mais cette subite étincelle qui illumine, dans le vent nocturne, le chemin de l'humanité ne s'éteint jamais tout à fait. Qu'est-ce que les hommes seraient devenus sans leurs poètes ? "

Entre deux romans, la plume de l'écrivain se plaît à courir sur le papier à la recherche de rythmes, de sonorités, de métaphores, en un mot, de poésie.

Ainsi naîtront des textes de prose poétique tels que Les Saisons Valaisannes, La Servante du Seigneur, Visages, Le Couple perdu et retrouvé, et tant d'autres.....

Il lui arrive aussi d'écrire des poèmes qui seront mis en musique, telle que La Cantate du Rhône, mise en musique par L. Broquet, ou plusieurs poèmes mis en musique par Jean Daetwyler, parmi lesquels on peut citer, Pays, Terre Ardente, la Chanson de la Source, la Chanson de la vigne, qui sont destinés à des choeurs à quatre voix mixtes, a capella.

Extrait de La Servante du Seigneur, la mère s'adresse à son nouveau né :

"Vous avez faim, mon Seigneur ? Je réchauffe sur mon coeur votre nourriture et j'attends que vous daigniez l'accueillir. Tout ce que j'ai de meilleur en moi, je vous le donne, ma jeunesse que je vous immole, ma joie qui coule dans la blancheur du lait, ma vie elle-même, maître vorace, que vous mordez parfois jusqu'à me faire crier ! Mais je suis heureuse au milieu de mon sacrifice, plus heureuse qu'aucune maîtresse par son destin choyée, plus heureuse qu'aucune reine quand monte vers elle l'encens de la louange parce que je donne tout ce que je possède et parce que je reçois en retour, entre deux bouchées de cette bouche goulue, une esquisse de sourire. Non, non, ce n'est pas tout. Voyez comme il me regarde ! Il interrompt son labeur de tiède ventouse pour tourner vers mon visage ces deux petits océans où toute ma tendresse chavire."


Eynard 1950

Extrait de Visages :

"Mystère de ces visages plus nombreux que les fleurs de toutes les prairies, depuis cent mille années éclos à la lumière, retombés au néant, reformés et défaits, offerts au vent, à la pluie, au soleil, à la souffrance et à l'amour, dissous en poussière, bourgeons d'autres sourires, rires et larmes; mystère de ces visages dont aucun ne prit jamais la forme de l'autre et, chaque fois qu'une semence d'homme germe dans le sein d'une femme, la vie suscite ce front, cette bouche en des arrangements qui ne se répètent jamais."

Société Suisse des Bibliophiles 1968

Extrait de Les Saisons Valaisannes , La Vallée en fleurs

" Déjà fondent les flocons sur les abricotiers de la plaine et le vent les chasse dans le creux des vergers. Les cerisiers font une poussée de fièvre. À quoi pensaient-ils ? "Ils se sont oubliés. Leur devoir n'est-il pas d'apporter, les premiers, sur la table des hommes, les belles cerises rouges comme les joues des filles de Savièse, ou noires comme leurs impénétrables prunelles ? Où prendront-ils le temps de tisser la mousseline de leurs fleurs puis de peindre leurs baies, une à une ? Ils ont donné rendez-vous à la gourmandise des hommes pour fin mai. Ils arriveront en retard. Dépêchons-nous, dépêchons-nous."

Victor Attinger 1947

Extrait du Poème le Rhône écrit pour les Fêtes du Rhône de Sierre en 1948 :

III.
*Lui, le torrent maître, le torrent roi,
Le jeune taureau bondissant
Le voici qui souffle par ses naseaux de glace
L'impatience en jets ruisselants.
Il frappe, il bondit, il piétine ;
Toutes ces portes fermées, toutes ces entraves et ces barrières
Il les enfonce, il les renverse et il court,
Tombant de la montagne, mugissant de fureur et de joie
De chute en chute
Jusqu'au premier pâturage
Où le voici enfin qui s'apaise
Le mufle écumant dans le jeune gazon.*Mais le poète n'est pas dénué d'humour et de malice et il se plaît parfois à écrire des pastiches, telle cette contrefable :

La Fourmi et la Cigale

Une fourmi, ayant de la sauterelle
La maigreur et l'air désargenté,
En cette fin d'été
Rentrait chez elle.
Elle attendait le train.
Durant des mois, travaillant
De toutes ses pattes
Et de la mandibule dérobant quelques grains,
Elle avait fatigué et son cœur et sa rate
En vain :
Elle ne possédait un sou vaillant.
L'impôt, la nourriture, l'habit et l'abri
Lui avaient tout pris.
- Oh…
Qui voit-elle, sur le quai de la gare
Vide l'instant plus tôt ?
La Cigale,
Dodue et manteau de vison,
Malgré la saison,
Femme fatale,
Rentrant comme elle à la maison.
- Eh ! Bonjour, Madame la Cigale,
Que vous voici portant beau !
Perles au jabot,
Gants de percale,
L'égale
De la princesse de Galles :
- Que fîtes-vous cet été ?
- J'ai chanté !
Le jour, la nuit, contre votre conseil
Pauvre idiote
Une princesse, vraiment oui,
Je la suis,
Chère fourmi !
L'or a teinté dans ma cagnotte.
Il est toujours des sots à plumer
Quand on a l'art de chanter !
Au revoir ; je voyage en première…
La fourmi, grinçant des dents,
D'un œil mouillé suivant la milliardaire,
Comprit que notre planète,
Ayant perdu la tête,
Les pieds en l'air,
Ivre,
Tourne à l'envers
En se riant du moraliste
Et qu'il serait urgent de brûler tous les livres,
Même ceux du fabuliste.

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