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La vie rurale dans les hautes vallées alpestres

© Marcel Chevalier
Sylvie Bazzanella

La Suisse Valaisanne

Il est peu de personnes qui ne connaissent, au moins par des photographies, les gracieux petits chalets de bois si pittoresquement situés le long des flancs herbeux et boisés des Alpes. Il y en eut des reproductions fidèles au Village Suisse, lors de l'exposition de Paris en 1900. Ce que l'on connaît moins, par contre, c'est le genre de vie que mènent les montagnards laborieux des hautes vallées alpestres. A cours d'un voyage récent, j'ai pu observer sur place leurs pérégrinations pour ainsi dire saisonnières. Les exemples les plus frappants se trouvent dans les hautes vallées de la Suisse Valaisanne. Les paysans savent à merveille utiliser les conditions climatériques de leur pays. Non seulement ils se livrent à la vie pastorale, élevant de grands troupeaux, mais ils ne négligent pas non plus les travaux des champs.

Le Valais tout entier, situé dans l'imposant massif granitique du S.-E. de la Suisse, est en effet d'une grande fertilité. On peut y cultiver la vigne qui donne des fruits excellents jusqu'à une altitude de 1400 mètres.

Sion et les vignobles

Les vignobles s'étagent en terrasses successives d'une façon très curieuse sur les flancs des montagnes. - On recueille du seigle jusqu'à 2 000 mètres d'élévation. - Pour augmenter la fertilité naturelle, les habitants ont créé tout un système d'arrosage au moyen de canaux ou bisse marquent leur passage par des prairies verdoyantes qui contrastent avec les pentes supérieures, arides et rocailleuses, qui ne sont pas irriguées. Dès la fonte des neiges les biss entrent en service. La vie des montagnards est plus complexe qu'on ne le suppose. Chaque année elle se divise généralement en trois périodes. Une même famille habite tour à tour, chaque année, trois maisons différentes, situées à diverses hauteurs dans la montagne.

Le village originel est le village d'hiver situé à environ 1 000 mètres d'élévation. Les chalets qui le constituent sont appelés mazots (maisons d'habitation) et raccards (greniers). En général, ils sont construits avec des rondins de sapins qui poussent en grande quantité sur les montagnes voisines. Ils peuvent être construits en pierre. Quelquefois l'une des parties est construite en pierre et l'autre en bois. L'effet en est alors très curieux.

Petits Mazots et écuries, sur la rive gauche du Vallon de Zinal - Document Michel Savioz

Tout l'hiver le paysan habite ce village. Les troupeaux restent à l'étable, car la neige couvre les pâturages. Dès le début du printemps, vers Pâques, les habitants quittent presque tous le village d'hiver. Ils vont habiter d'autres mazots situés dans les parties plus basses de la montagne et où se trouvent leurs vignes qu'ils cultivent. Seuls quelque uns d'entre eux restent à garder le village d'hiver. On ne saurait trop faire remarquer, ce fait intéressant et presque unique au monde de voir une population habiter au printemps plus bas qu'en hiver.Dans chaque village qui est autochtone, les Valaisans nous donnent l'exemple d'une merveilleuse organisation du travail. Ils se suffisent entièrement à eux-mêmes et émigrent très rarement. Vers le moi de mai, quand les vignobles ont été préparés, les habitants regagnent leur village d'hiver pour y cultiver les légumes (pommes de terre, fèves) et faire les semences (blé ou orge).

Un village d'hiver - Vallée de Zermatt

Il en est ainsi jusqu'à la Saint-Jean. Pendant cette période, quelques-uns d'entre eux, désignés par leurs camarades ont conduit le bétail au mayen situé à des hauteurs variant de 800 à 1 400 mètres. Le mayen est le pâturage de printemps. En ancien patois mayen signifiait d'abord chalet fleuri, puis on en a fait le leu où se trouvent ces rustiques habitations. L'été, quand les troupeaux ont quitté le mayen, on y fait du foin.

A la Saint-Jean, ceux des paysans qui ont été désignés pour servir de bergers, partent alors pur l'alpage ou pâturage d'été situé au delà de la limite des forêts, et souvent à de grandes hauteurs. Les bergers restent sur l'alpage avec leurs troupeaux jusque vers la mi-septembre. Ils habitent de petits chalets de pierre appelés cabanes ou chavannes. Quelquefois ces cabanes sont en pierre et bois. Souvent il y est adjoint une étable pour le bétail. Le troupeau est en général gardé par trois ou quatre bergers. Il comprend de 150 à 200 vaches, appartenant à plusieurs propriétaires. Les chèvres sont rares. L'une des vaches est la maîtresse du troupeau. Elle porte une cloche plus grosse que les autres. C'est la reine à cornes. Elle conquiert ce titre dans une bataille qui a lieu le jour de l'inalpe ou jour de départ pour l'Alpe. Tout le village assiste à cette bataille et le propriétaire de la reine est très fier.

La fête cantonale en mai, à Martigny, consacre la Reine des reines lors de combats acharnés

© Photo Léonard Gianadda

Cette royauté lui crée des obligations à la descente de l'Alpe; il doit payer la reçue, c'est-à-dire le boire et le manger. Il existe en outre une autre reine du troupeau. C'est la reine à lait; cette dernière est choisie parmi les vaches qui fournissent le plus de lait. Le propriétaire de la reine à lait, lors de la descente de l'alpage, a les mêmes obligations que le propriétaire de la reine à cornes. Il doit payer la reçue.

On ne fait pas de foin sur l'alpage. On y fait seulement du beurre et du fromage. Ce travail est confié au fruitier ou fromager qui accompagne les bergers sur l'Alpe. Dans certaines régions, il y a deux sortes d'alpage. L'alpage inférieur où se trouve le mazot auquel sont annexées une cave à fromage et une étable pour les bestiaux; l'alpage supérieur où les bergers ne montent que pendant les grandes chaleurs. A cet endroit le mazot est bien une véritable cabane. Il n'y a ni cave à fromage ni étable. Le fruitier descend à l'alpage inférieur le fromage qu'il fabrique.

Un coin d'alpage au Schwarzsee

Quand arrive la mi-septembre, les troupeaux descendent de l'Alpe. La reine à cornes et la reine à lait portent chacune un bouquet. C'est la reine à cornes qui marche en tête et qui conduit le troupeau. On s'arrête quelques jours au mayen pour y faire le foin qui a poussé ou regain. Puis on descend au village d'hiver avec le foin du regain, le beurre et les fromages. Au village d'hiver on range le foin dans le raccard. Dans une autre partie on loge les produits des semailles. Tout autour de la porte du mazot, on empile du bois pour l'hiver, on forme ainsi le buché. Au début d'octobre, les paysans descendent à leurs vignobles pour y faire la vendange. Le mazot à cet endroit se compose : au rez-de-chaussée, d'une cave à vin, d'une étable, d'une grange à foin. L'étable est sur le devant et la cave à vin sur le derrière de la maison. Au premier étage, se trouvent la cuisine, la chambre à coucher et la grange à foin. Quand la vendange est terminée, tout le monde regagne le village d'hiver, où on passera les mois de novembre, décembre, janvier et février.

Parmi les villages d'hiver bien connus des touristes, on peut citer les villages de : La Croix, La Fontaine, Les Rappes, sur la route de Martigny au col de la Forclaz, les villages de Stalden Randa, Zermatt, dans la vallée de la Viège. Comme alpage on peut citer ceux du Schwarzsee, d'Hermattje, du Riffelalp, près de Zermatt. Dans la vallée du Rhône, à une lieue environ de Sion, et situé sur une moraine latérale des anciens glaciers du Rhône, le village de Savièze fournit un type excellent de village vinicole avec vergers et prairies irriguées. Les habitants de Savièze ne partent qu'au début de juillet pour le col de Sanetch, près des Diablerets. Ils traversent ce col et vont dans le canton allemand de Walliser-Windspillen où des propriétés leurs appartiennent. S'ils changent ainsi de canton, c'est qu'ils ne possèdent pas d'herbages suffisants sur les versants du Valais.

© Marcel Chevalier - Le Magasin Pittoresque - soixante-treizième année, Série III - Tome sixième, Paris 1905

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Sylvie Bazzanella
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15 juillet 2010
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