Un horloger du Locle arpente le monde Repérage

janvier, 2019
Sylvie Savary
Partenariat Passé Simple - notreHistoire

Pierre-Frédéric Droz (1748-1811) est un artisan baroudeur qui traverse les États-Unis, le Canada et sillonne l'Europe, l'Égypte et la Turquie. Il rédige le récit de ses voyages en Amérique.

Page de couverture de l'édition originale du livre de P.-F. Droz de 1776. Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne.

Horloger de profession, aventurier par passion, routard avant l'heure. Ainsi pourrait-on présenter Pierre-Frédéric Droz. Né au Locle en 1748, il était destiné à une carrière d'horloger dans les montagnes neuchâteloises. Il fait l'apprentissage, sans grande assiduité, et il a la bougeotte. Ce trait de caractère va lui faire découvrir de nombreux pays. Il publiera un livre racontant une partie de ses voyages. À 20 ans, il part pour Paris. Assez indifférent aux monuments, il se passionne pour les spectacles d'acrobates et de magiciens, la comédie française et l'opéra. Puis, direction l'Angleterre, où il espère vendre des montres. Dépouillé à Londres par des «fripons» il revient à Paris, où il assiste, émerveillé, au feu d'artifice du 19 mai 1770 organisé en l'honneur du mariage du futur Louis XVI et de Marie-Antoinette. Il déplore, en passant, que la foule ait écrasée un grand nombre de personnes.

Fête donnée en l'honneur du mariage du futur Louis XVI et de Marie Antoinette, à laquelle Pierre-Frédéric Droz a assisté. Auteur inconnu. Hewitt Cooper, Smithsonian Design Museum. Wikimedia Commons.

Un mois plus tard, il se promène sans le sou sur le port de Rotterdam lorsqu'il rencontre des Allemands qui l'encouragent à partir pour Philadelphie. Le capitaine du navire n'a pas de place pour lui dans son équipage. Mais il accepte de le prendre gratuitement comme passager pour peu qu'il s'engage à travailler dès son arrivée pour un horloger durant trois ans. Droz accoste à Philadelphie, mais refuse d'être «vendu» à n'importe quel maître. On le met alors dans une «prison pour dettes», un endroit ressemblant plutôt «à un collège»: les autres détenus sont des lettrés, parlant français, allemand, anglais ou latin. Ils jouent aux cartes, rédigent des thèses de théologie, de morale ou de physique et chantent des chansons à boire. Embauché finalement par un compatriote horloger, il travaille juste le temps de gagner quelques sous avant de partir à la découverte des États du sud. Il traverse la Pennsylvanie, le Maryland, la Virginie, la Caroline du nord et du sud et arrive en Géorgie. Il est engagé au gré des occasions comme horloger, mécanicien et précepteur. Un périple aventureux de 1500 kilomètres au cours duquel il échappe aux caïmans, aux requins et aux serpents à sonnette, patauge dans des forêts inondées, croise des «sauvages», loge chez des fermiers qui traitent, leurs esclaves «comme des bêtes». Il manque de se faire assassiner à plusieurs reprises. Son cheval disparaît dans la forêt. Pierre-Frédéric Droz ignore si sa monture a été volée ou dévorée par une panthère. Lorsqu'il tente de vendre la selle devenue inutile, il ne trouve aucun acheteur.

Vue de Québec prise à Point Levi peu après le séjour de Pierre-Frédéric Droz. Œuvre de William Peachy, 1784, gravure de J. Wells. Library of Congress.

En 1772, il est de retour à Philadelphie et poursuit sa route vers le Canada. Il s'installe à Montréal puis à Québec, dont «l'air sain» le guérit de la malaria contractée à Savannah. En habile horloger, il fabrique durant ses loisirs un «petit carrosse qui marchait seul par le moyen d'un moteur élastique, qui s'ouvrait quand je lui disais de s'ouvrir, où l'on voyait deux forgerons qui forgeaient, deux enfants qui se balançaient, un mathématicien qui calculait la grandeur de la terre, un homme qui dansait et un oiseau de cuivre qui chantait.»

Il exhibe cette pièce à de multiples reprises dans les rues. Cette activité lui assure un revenu confortable. Pierre-Frédéric Droz est dans l'air du temps: à la même époque, les automates des Jaquet-Droz suscitent l'admiration de toute l'Europe. Dans une lettre, le frère aîné de Pierre-Frédéric lui décrit les merveilles réalisées par ces talentueux artisans des montagnes neuchâteloises. Il évoque l'Écrivain, le Dessinateur et la Musicienne ainsi qu'une quatrième pièce, d'une surface d'un à deux mètres carrés, appelée La Grotte, aux multiples figures animées.

L'automate aujourd'hui perdu des Jaquet-Droz, la Grotte. Eau-fort de F. Lardy d'après Balthasar Anton Dunker, 1776 (H 4425). Musée d'art et d'histoire de Neuchâtel

En 1775, Pierre-Frédéric, dépité de ne pouvoir voyager plus au nord, met le cap sur l'Europe. Rentré au Locle, il rédige et publie ses aventures à compte d'auteur. Mille exemplaires dont il embarque le tiers dans des ballots qu'il va vendre au porte-à-porte à travers la Suisse romande.

Nouveau voyage en 1777, cette fois au sud de la France. À Marseille, il déplore la concurrence des montres moins chères qu'en Suisse. À la foire de Beaucaire, il se passionne tant pour les spectacles d'équilibristes et d'escamoteurs qu'il troque son fameux carrosse contre l'apprentissage de «tous les tours de gibecière, de cartes et d'escamotage» par un «maître d'équilibre». Il fabriquera un nouveau modèle du carrosse à Montpellier, dès que ses activités de rhabilleur lui en laissent le temps.

En 1781, il s'installe avec sa femme à La Joux-Perret près de la Chaux-de-Fonds. Tout en travaillant comme horloger, il s'intéresse à la chimie, à l'hydraulique et à la botanique. Il se fait surtout métallurgiste et prospecteur, persuadé que la Suisse recèle des filons d'or ou d'argent. Déçu de ne rien trouver, il construit en 1794 un moulin à lavures aux Éplatures pour récupérer du métal précieux. Sa matière première est constituée de «balayures» qu'il va chercher dans les nombreux ateliers de fabrication et de montage de montres installés dans les villages et les fermes de la région.

Jusqu'à sa mort en 1811, il effectue encore de nombreux voyages, en Italie, en Égypte et en Turquie notamment, laissant sa femme s'occuper de leurs cinq enfants. Quant à son carrosse miniature, il lui est volé à Rhodes pendant la sieste qu'il fait au bord de la route.

Sylvie Savary,

Bibliothèque numérique romande

Pour en savoir davantage

Fritz Jung, Un voyageur neuchâtelois au XVIIIe siècle. P.-F. Droz l'Américain, Le Locle, 1952.

Pierre-Frédéric Droz, Récit fidèle de mes aventures et des choses que j'ai vues dans les différents voyages que j'ai faits depuis l'année 1768 jusqu'à 1775, à télécharger librement sur www.ebooks-bnr.com.

La convention d'impression entre l'imprimeur Jeanrenaud et Droz de 1776. Photo: Sylvie Savary. Fonds Droz. Bibliothèque de la Ville du Locle.

© Passé simple. Mensuel romand d'histoire et d'archéologie / www.passesimple.ch

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8 février 2019
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