Igor STRAWINSKI, Charles Ferdinand RAMUZ, Renard, OSR, Ernest ANSERMET, 1955

octobre, 1955
Decca
René Gagnaux

Dans les années 1912...1920 environ, Igor STRAWINSKI s'était réfugié en Suisse - du fait de la Révolution russe. À Montreux il fit la connaissance d' Ernest ANSERMET, qui le présenta ensuite à Charles Ferdinand RAMUZ: il en résulta l'une de ses oeuvres les plus connues, l'«Histoire du Soldat», ainsi qu'entre autres le fabuleux «Renard»...

Recto de la pochette du disque Decca LONDON LXT 5169

Renard est une «Histoire burlesque chantée et jouée» pour deux ténors, deux basses et un petit orchestre - formé de 16 instruments -, dont Igor Strawinski n'écrivit pas seulement la musique, mais également le livret: c'est la seule de ses oeuvres vocales pour laquelle il rédigea lui-même le texte. Il s'inspira de contes populaires russes, rassemblés par Alexandre Afanassiev une centaines d'années plus tôt, livret qui fut ensuite adapté en français par Charles Ferdinand Ramuz.

D'après les souvenirs de Strawinski, ses premières esquisses de Renard datent de 1913 - 1914. En 1915, à Paris, il fit la connaissance de la Princesse Edmond de Polignac; elle voulait entre autres passer commande d'une oeuvre pouvant être jouée dans son salon, dès que la guerre serait terminée:

"[...] My intention at that time was to ask different composers to write short works for me for a small orchestra of about twenty performers. I had the impression that, after Richard Wagner and Richard Strauss, the days of big orchestras were over, and that it would be delightful to return to a small orchestra of well chosen players and instruments. [...]" Princesse de Polignac, citée par Eric Walter White, «Stravinsky: A Critical Survey», 1882-1946, NewYork: Dover Publications, Inc., p. 241.

Strawinski lui proposa alors Renard, un projet qui enchanta la Princesse. Il écrivit ensuite d'abord une ébauche de son livret, puis seulement commença d'en composer la musique. La forme de cette courte oeuvre était d'un genre nouveau pour l'époque, tenant de l'opéra, de la pantomime et du ballet, une «cantate-ballet». Strawinski indiqua ne vouloir sur scène que la partie ballet, avec les danseurs dans les rôles du Renard, du Coq, du Chat et du Bouc, mettant l'accompagnement musical - instrumentistes et chanteurs - dans la fosse, donc invisible du public. Les quatre chanteurs (deux ténors, un baryton et une basse) devaient se partager le texte, sans qu'il y ait de correspondance exacte entre eux et les personnages - même si les ténors sont majoritairement liés au Coq et au Renard, et les basses au Chat et au Bouc.

Dans l'orchestre - avec les bois par un, deux cors, une trompette, les cordes et des percussions - se trouve en plus un cymbalum, instrument hongrois certes très fréquent dans la musique tzigane, mais par contre très inhabituel dans un orchestre de cette époque. D'après le texte publié dans la brochure d'un concert donné le 1er octobre 1926, c'est en entendant un récital d'Aladar Racs - «surnommé par Saint-Saëns le Liszt du cymbalum» -, que Strawinski - enthousiasmé par son jeu - décida d'apprendre à en jouer, afin de pouvoir l'utiliser dans la composition de Renard.

"[...] Avec ce «spectacle de tréteaux»,né d'un contexte de guerre, où il fallait faire avec peu d'éléments, Strawinski renoue à sa manière avec l'art et l'esprit des skomorokhi, ces ménétriers et amuseurs publics de l'ancienne Russie. [...]" André Lischke

Dédié à la Princesse de Polignac, commanditaire de l'oeuvre, Renard fut donné en première audition par les Ballets Russes le 18 mai 1922 à l'Opéra de Paris, sous la direction d'Ernest Ansermet, avec des décors et des costumes de Michel Larianov et une chorégraphie de la danseuse Bronislava Nijinska, qui dansa aussi le rôle-titre de l'oeuvre.

Un décor de scène du set de Michel Larianov

Dans ses souvenirs, Ramuz raconte comment il avait pu adapter en français le texte, ce qui est toujours délicat en ce qui concerne l'art de transcender les langues et d'établir une compréhension de la sonorité et de la phonétique au-delà du sens des mots:

"[...] J'avais une feuille de papier, un crayon. Strawinski me lisait le texte russe vers après vers, prenant soin de compter chaque fois les syllabes de chaque vers, dont je notais le nombre en marge de ma feuille, puis on faisait la traduction, c'est-à-dire que Strawinski [...] traduisait le texte mot à mot. C'était un mot à mot tellement littéral qu'il en était souvent tout à fait incompréhensible, mais avec des trouvailles d'images (non logiques), des rencontres de sons d'une fraîcheur d'autant plus grande que tout sens (logique) en était absent. (Je soupçonne d'ailleurs, entre parenthèses, que même dans le texte russe cette espèce de sens n'était guère représentée.) Je notais mon mot à mot; ensuite venait la question des longueurs (les longues et les brèves), la question aussi des voyelles (telle note était écrite pour un o, telle pour un a), enfin et par-dessus toutes les autres, la fameuse et insoluble question de l'accent tonique et de sa coïncidence ou de sa non-coïncidence avec l'accent musical. [...] Qu'on ajoute à tout cela les complications résultant des contradictions particulières qu'il y a entre le russe et le français où l'accent n'est pas dans le mot mais dans la phrase; on se rendra compte qu'au total les difficultés n'étaient pas petites et eussent fourni matière à d'interminables discussions. Elles n'ont pourtant jamais été longues entre nous. Une espèce d'accord intime et préalable y présidait. [...]"

"[...] Ramuz n'avait pas tort, et a même fait preuve d'une assez belle intuition en mettant en doute le sens du texte russe. L'argument est d'une cocasserie volontairement poussée à l'extrême et divertissante pour cela même. Il relate les ruses dont le Renard fait preuve pour essayer de capturer un Coq stupide, en réussissant presque à deux reprises, mais le volatile est chaque fois tiré d'affaire in extremis par ses amis le Chat et le Bouc. Comme dans les Pribaoutki, le texte use largement de ce «nonsense» que les contes russes ont en commun avec les rhymes britanniques, et met en valeur certains effets d'assonances, métissés de slavon d'église et de formules verbales traditionnellement utilisées dans les récits populaires, qui complètent et rehaussent avantageusement une histoire qui sans cela perdrait beaucoup de son attrait. [...]" André Lischke

Une courte description d'André Lischke (citée de son Guide de l'opéra russe):

"[...] L'introduction «Marche, entrée des acteurs» est instrumentée aux vents, percussions et cymbalum, et donne d'emblée le double cachet rustique et loufoque de la pièce. Les quatre chanteurs annoncent alors (Allegro) le sort qu'on va faire subir au Renard («et on vous lui cass'ra les os, on vous lui plant'ra le couteau»). L'écriture rythmique, assez scandée et régulière dans une mesure à 2/4, change totalement avec le début de l'action, où les changements de mesure cont devenir constants. Le Coq se présente, pompeux et sot: «Je suis sur mon bâton, je garde la maison, j'chante ma chanson»...

Le Renard, faux dévot, chantant sur des mélopées archaïsantes, se fait passer pour un ermite qui vient «du fond des déserts» et l'incite à venir se confesser; le Coq commence par lui dire son agacement. Le Renard insiste, lui reprochant son mode de vie dissolu au milieu de ses nombreuses femmes et maîtresses. Sur un roulement de caisse claire le Coq prépare un «salto mortale» (saut périlleux), et saute de son perchoir. Aussitôt le Renard le saisit et l'emporte. Panique, tumulte, appels au secours («frèr' bouc, frèr' chat, c' gros glouton me mang'ra») - et précipitation à la rescousse des deux amis, sur des rythmes secs, des piaillements des bois et des roulades d'arpèges au cymbalum. Le Renard lâche le Coq et s'enfuit. Le Chat et le Bouc dansent de joie et commentent avec verve l'incident. Les rythmes retrouvent ici la mesure à 2/4 du début.

La seconde partie est symétrique à la première et débute par les mêmes mots du Coq. Cette fois le Renard, abandonnant sa mantille de religieux, use d'un autre stratagème, le flattant pour sa beauté puis excitant la gourmandise. Même scénario: le Coq commence par annoncer un refus, puis se laisse tenter en exécutant le même «salto mortale». Emporté par le Renard, il tente d'abord un argument des plus drôles: «Ne fais pas gras, mère Renard!» et s'entend répondre: «Pour d'autres c'est gras, pour nous c'est maigre!» - ces deux phrases sont dites parlando. Il appelle derechef le Chat et le Bouc, qui tardent cependant, et laissent le temps au carnassier de commencer à plumer sa victime.

Le Coq essaie alors d'amadouer son bourreau, sur des intonations plaintives («Aïe, aïe, mère Renard très charitable, très vénérable»), se disant prêt à l'inviter chez ses parents où l'on fait bonne chère... Le Coq défaille -, et le Chat et le Bouc surgissent. En s'accompagnant aux gousli ils chantent une aimable chanson à Renard; le trompeur sera trompé! Cymbalum et cordes sont mis à contribution, avec force onomatopées dans le texte. Réfugié dans son terrier, assailli d'une meute de bêtes armées d'une faux («un grand couteau» dans le texte français), il commet l'erreur de laisser pointer le bout de sa queue; les bêtes le tirent au-dehors et l'étranglent. Les quatre chanteurs exécutent sur «Aaa» des glissandi descendants, et la didascalie précise: «Les deux ténors et les deux basses hurlent de toutes leurs forces. Renard expire.» Et comme à la fin de la première partie, mais sur une musique différente, Chat et Bouc dansent et commentent le dénouement, et le texte part dans des juxtapositions d'images totalement déconnectées du réel («Renard a dit "ça va , sur la place du village les loups battaient les pois»), mais gardant une logique des jeux d'assonances - beaucoup plus parlantes, avouons-le, dans le texte russe que dans les adaptations méritoires de Ramuz...

Pour contribuer encore à l'ambiance de la représentation de foire, le premier ténor s'écrie, s'adressant au public: «Et si l'histoire vous a plu, payez-moi ce qui m'est dû!» En toute logique symétrique, les premières mesures de la Marche du début sont reprises en conclusion: Départ des acteurs. [...]" André Lischke, cité de son Guide de l'opéra russe.

Le texte, tel que repris de la partition, voir par exemple cette page de l'IMSLP (il est par endroits un peu difficile à suivre, malgré l'excellente diction des chanteurs, car souvent récité resp. chanté très vite: sa compréhension est toutefois importante, pour pouvoir vraiment savourer l'oeuvre):

Marche aux sons de laquelle les acteurs entrent en scène. Le Coq s'agite sur son perchoir Allegro (mm. 1 - 62)

Où ça, où ça, où ça, où ça, où ça?

Où est-il? Amenez-le-moi!

Et on lui cass'ra les os,

On lui plant-ra l'couteau.

Et on vous lui cass'ra les os,

On vous lui plant'ra l'couteau.

Où ça, où ça, où ça, où ça, où ça?

Où est-il? Amenez-le-moi!

Et puis plus vit' que ça!

Voilà... Voilà!

Où ça, où ça, où ça, où ça, où ça?

Et le p'tit couteau on l'a...

...le p'tit couteau, on l'a,

Et la corde aussi, on l'a,

Et ici on l'crev'ra,

Et ici on l'pendra.

Où ça, où ça, où ça, où ça, où ça?

Et le p'tit cou-couteau, on l'a,

La p'tit' co-corde aussi on l'a,

Et ici on vous l'cre-crev'ra

Et ici on vous l'pen-pendra.

Meno mosso (mm. 63 - 76)

Je suis sur mon bâton,

Je garde la maison.

Je chant' ma chanson.

Arrive Renard en costume de religieuse. (mm.77-85)

Salut, mon cher fils à la toqu' roug'!

Descendez, cher fils, du lieu de votr' séjour,

Et confesses-vous,

J'viens du fond des déserts,

N'ai ni bu, ni mangé...

Le Coq, impatienté: (mm. 85)

Zut! Mèr' Renard!

Renard continuant: (mm. 86- 90)

Ai, souffert beaucoup d'miser's;

J'suis ici,

Afin d'vous confesser.

Piu mosso (mm. 91 - 99) Le Coq avec arrogance:

O ma bonn' vieil' mèr' Renard,

Ces mom'ries-lâ, j' n'y crois pas;

Repass' voir

Une aut'fois.

Meno mosso (mm. 100 - 126)

Ô mon fils très cher,

Vous êt's assis très haut dans les airs,

Mais ça n'empêch' pas que tu ert's,

Prends gard'mon fils.

Vous avez, vous autr's beaucoup trop de femm's;

Tel en a bien un' dizain',

Et tel en a dans la vingtaine au moins,

Ça peut monter avec le temps

Jusqu'à quadrant!

Partout où vous vous rencontrez,

Vous vous battez, rapport à vos femmes,

Comm' si c'étainent vos maîtress's;

Viens mon fils, jusqu'à moi et confess'-toi.

Afin d' n' pas mourir

En état d'péché.

Le coq se prépare à sauter "salto mortale" - Il a sauté. Renard saisit le coq et tourne autour de la scène en le tenant sous le bras. Le coq se débattant désespérément. Stringent (mm. 127- 146)

Ah, mon Dieu! Mon Dieu! Mon Dieu!

Il me tir' par la queue...

Il me tir' par la queue,

Il déchir' mes habits,

Il me lâch'ra plus

Qu'à trent'-six lieues d'ici.

(Trois et trois qui font six,

Et trois fois trois qui font dix, et trois dix et

six trent'-six!)

Frèr' bouc frèr' chat,

C' gros glouton me mang'ra,

Frèr' bouc frèr' chat,

Bons amis, écoutez-moi,

Frèr' bouc frèr' chat!

V'nez vit', tirez-moi d' là!

Con brio (mm. 147 - 157) Apparaissent le chat et le bouc.

Eh! Eh! Ma bonn' vieil' mèr' Renard.

C' que tu as dans l' bec

Ne t'a pas coûté cher,

Ne voudrais-tu pas t'en défaire?

On est des bons chrétiens,

On te paiera bien.

Allons! Donn'- nous ça, ou bien on t' fout

bas!

Renard lâche le coq et s'enfuit. Le Coq, le Chat et le Bouc dansent. (mm. 158 - 164) Sempre l'istesso tempo (mm. 165 - 256)

Mèr' Renard, un jour, chez nous,

Mettait tout sens dessus-dessous,

Et, la garce, elle s'en vantait.

C'est qu'elle avait,

mais c'est qu'elle avait,

mais c'est qu'elle avait,

Pour vous casser les reins, un bon outil tout prêt.

Voilà m'sieur l' coq qui sort d' chez lui.

Sort d' chez lui.

Ces dam's poul's sont avec lui.

Avec lui.

Ses cher's p'tit's poul's tach'tées.

Tout à coup...tout à coup

Tout à coup (il n'y comptait pas),

Tout à coup (il n'y pensait pas)...

Mèr' Renard est la. Ell' vous l' salue tout bas:

"Gare à toi, beau garçon,

on t'y prend donc!"

"Ne me mang' pas, mèr' Renard.

"Mèr' Renard, pitié pour moi! N'auras-tu pas assez

Avec mes dam's, mes chèr's p'tit's femm's?"

"Non! C'est ta carcass' qu'il me faut.

J'aurai ta peau, j'aurai tes os!"

Voilà qu' mèr' Renard prend l'coq par les côt's.

Ell' saut' d'un bond l' mur, elle' saut' l'aug',

L' tir' par la peau du dos,

L'emport' derrier' le bouleau.

Le Chat et Le Bouc se retirent (mm. 257 - 258)

Ces dam's sont trop loin, Ell's n'entend't rien.

Le Coq remonte sur son perchoir et s'installe commodément. Meno mosso (mm. 259 - 268)

Je suis sur mon bâton,

Je garde la maison.

Je chant' ma chanson.

Arrive Renard. Il laisse tomber son costume de religieuse. (m. 269) Sempre l'istesso tempo (mm. 270 - 286)

Cocorico, seigneur coq,

Crêt'd'Or, Têt'-bien-coiffée,

Clair-Regard, Barb' frisée,

bel habillé tout en

Velours, beau seigneur coq,

Ouvr' moi.

Non, je n' t'ouvrirai pas.

J' te donn'rai des petits pois. Les coqs

n'aiment pas les petits pois,

Les coqs aiment seul'ment le grain,

Renard parle, ils n'entend'nt tien.

(falsetto periodically) (mm. 287 - 335)

Petit coq, petit coq,

J'ai un' grand' maison

Tout' plein' de grain, tu en auras tant que tu

voudrais...piqu'! piqu'!

J'ai pas faim.

Cocorico, seigneur coq,

Crêt'd'Or, Têt'-bien-coiffée,

Clair-Regard, Barb' frisée,

Beau seigneur coq, ouvr'-moi;

J' t'apport' un morceau d' pain.

M'ennuie pas avec ton pain!

Pas si bêt', pas si bêt'!

Je gard' mon bien, gard' ton bien.

Coq de mon Coeur, beau petit coq,

Descends d'où tu es perché vers... plus bas...

Et d'encor' plus bas jusqu' sur... la terre.

Et je t'emport'rai tout vivant dans...

Le Coq se prépare à sauter "salto mortale"

Crie: Ne fais pas gras Renard!

Le Coq saute - Renard s'empare de lui.

Pour d'autres c'est gras;

Pour nous, c'est maigre!

Renard tourne autour de la scène en tenant le Coq sous le bras. Le Coq se débattant désespérément. Stringendo (mm. 336 - 353)

Ah, mon Dieu! Mon Dieu! Mon Dieu! Il m'a

pris par les ch'veux,

Il ma pris par les ch'veux,

Il me tir' par la queue,

Il va m' mettr' tout nu comm' un petit Jésus,

J'suis perdu,

j'suis fichu,

Au s'cours j'en peux plus, ah! Mon Dieu,

Qui l'aurait cru,

qui l'aurait cru?

Frèr' bouc, frèr' chat,

Pourquoi n'êt 's vous pas là?

Frèr' bouc frèr' chat,

Bons amis, écoutez-moi,

Frèr' bouc frèr' chat!

C'en est fait d' moi cett' fois!

Renard emporte le Coq sur le côté de la scène et commence à le déplumer (mm. 354 - 356) Moderato (mm. 357 - 384) Le Coq se lamente.

Ah, aie, aie, aie!

Mèr' Renard, très charitabl', très vénérable,

Viens chez papa, et tu verras, là-bas chez papa,

Tu verras, comme on te soign' ra, tu verras,

Comm' c'est servi.

C' n'est pas comme ici,

Y a du beurr' sur la table

Seigneur, prends sous ta gard' Séraphine, ma cousin',

Ma bonn' marrain' Cath'rine,

Tous les Saints, André mon parrain,

Adelin' qui fait l'pain,

Et Jean qui travaille au Moulin,

Félicie, Félicie, Sidonie,...donie, do...

Le Coq défaille. Apparaissent Le Chat et Le Bouc. Ils chantent, en s'accompagnant sur la guzla, une aimable chanson a Renard.

Tiouc, tiouc.

On chante doux la joli'

Chanson que voilà

Tiouc, tiouc.

Ils ne chant'nt pas tant doux qu'ça!

Tiouc, tiouc.

Pour l'amour de vous

On la chant' tout bas,

On la chante tout doux.

Tiouc, tiouc,

On la chante tout doux

Pour l'amour de vous,

Tiouc, tiouc.

Où est-ell'? est-ell'

chez ell? madam' Renard

Tiouc, tiouc.

Est-ce qu'on pourrau lui parler?

Pourrait-on parler à ses d'moisell's

Tiouc, tiouc.

On vous chante tout doux

Pour l'amour de vous.

Tiouc, tiouc.

La premier', c'est Mam'sell' Torchon

La deuxièm', c'est Mam'sell' Cornichon

Et la quatrièm, Mam'sell'

Fait-le-Poing.

Tiouc, tiouc.

chante tout doux. Un' jolie chanson pour vous.

Tiouc, tiouc.

On la chantera jusqu'au bout.

Tiouc, tiouc.

Pour l'amour de vous, On la chant' tout bas,

On la chante tout doux.

Où est-ell', Madam' Renard?

Peut-on la voir?

Renard montre le bout de son nez.

Qu'est-c' que c'est qu' cett' chanson?

Qui est là et que m' veut-on?

On esl les bell's,

les tou's bell's,

Et e' qu'on a sous son manteau.

C'est un grand couteau.

Les Bêtes sortent le grand couteau. Renard épouvanté.

Ah! Vous, mes chers yeux,

Mes yeux qui et's deux,

Qu'avez-vous fait, Qu'avez-vous fait, mes yeux?

On a guigne, guigne, guigne,

Pour qu' les méchant's bêt's vien'nt pas t'manger.

Ah! Vous mes pieds,

Si légers à courir,

Qu'avez-vous fait, mes pieds,

Chers pieds, pour m' servir?

On a couru tant qu'on a pu.

Et les méchant's bêt ne t'ont pas eue.

Et toi, et toi, queue frisée?

À la baie m' suis accrochée.

Hélas! M' suis pris' dans la hâte.

Et les bêt's t'ont attrapée t'ont dechirée.

Renard pris de fureur; agite la queue.

Il crie en s'adressant à celle-ci: "Ah, canaille, que

les bêtes te mettent en morceaux!"

Les bêtes attrapent la queue de Renard, tirent Renard hors de sa maison, et l'étranglent. Les deux ténors et les deux basses hurlent de toutes leurs forces. Le Coq, Le Chat et Le Bouc se mettent à danser.

Mer' Renard, Mer' Renard,

Pourquoi nous quitter déjà?

C'est que j'ai mon p'tit commerc'

Qui n'peut pas s'passer de moi.

Jean-Louis tap' sur sa femm'.

Ell' tap' sur son mar' las,

Ils crient, les chiens aboient.

Leurs enfants sont au bois.

Ils ont dit à Renard:

"Eh... Renard, viendras-tu pas?

T'auras du chocolat"

Renard a dit: "Ça va."

Sur la plac' du village,

Les loups battaient les pois;

Renard se dérang' pas.

Renard est sur le poel':

"Gar', Renard, les voilà!"

Il a sauté par terr',

Il s'est cassé le bras.

Zoum! Zoum! Zoum!

Patazoum, patazoum!

C'est tant mieux

pour les poul's.

Et c'est ainsi qu'on dit...

Zoum! Zoum! Zoum!

Patazoum, patazoum!

...que l'histoire finit.

À présent on va aller

Ous qu'y aura d'quoi manger.

Et ous qu'y aura d'quoi boir.

On ira ous qu'y aura...

Des beaux beignets à l'huil' d'noix,

Et puis plein un...

Tonneau d' bon vin nouveau.

Seigneur, pardonnex nous!

Sur sa bête est Jean Badoux,

Sur l'homm' sa-tet,

Dans sa têt rien du tout.

Et Voilà qu'il pleut,

On a fait un bon feu

En l'honneur d'nos messieurs

Nos messieurs sont arrivés,

Leurs chiens ont fait coucher.

Leurs chiens sont fâchés.

Renard a empoché.

Et si l'histoir' vous a plu, Payez-moi c' qui m'est dû!

Ernest ANSERMET enregistra cette oeuvre pour le disque en 1955, bien entendu avec son Orchestre de la Suisse Romande, comme d'habitude dans le Victoria-Hall de Genève. Pendant des sessions s'étendant du 7 au 16 octobre 1955 (Pr: Victor Olof Eng: Gil Went, mono; Pr: James Walker Eng: Roy Wallace, stéréo), avec des reprises les 27 octobre, 9 et 12 novembre, quatres oeuvres de Strawinsky furent enregistrées: Apollon Musagète, Renard, concerto pour piano et orchestre, Capriccio - avec une distribution vocale superbe: Michel SÉNÉCHAL et Hugues CUÉNOD, ténors, Heinz REHFUSS, baryton, et Xavier DEPRAZ, basse. Le cymbalum était joué par Istvan ARATO.

Apollon Musagète et Renard paraissent l'année suivante, en juin 1956 sur le disque Decca LONDON LL 1401, puis en octobre 1956 sur Decca LXT 5169, tous deux en monophonie. Il faut toutefois attendre deux ans pour la première parution en stéréophonie, en septembre 1958, sur Decca LONDON CS 6034:

Recto de la pochette du disque Decca LONDON CS 6034

À noter qu'Ernest Ansermet enregistra Renard une deuxième fois, en 1964, mais dans la version en langue anglaise de Rollo H. Myers. C'est hélas la version qui paraît d'abord sur CD Decca en 2001; heureusement que la version d'origine, donc avec le texte de Ramuz, paraît une dizaine d'années plus tard sous label "Decca Éloquence", coffret de 4 CDs 4803775 "Stravinsky - Ansermet: The First Decca Recordings", un coffret regroupant les premiers enregistrements d'oeuvres de Strawinski faits par Ernest Ansermet pour Decca.

Étiquette du verso du disque Decca CS 6304

La superbe série d'émissions de François HUDRY «Ernest Ansermet et l'OSR - l'histoire d'une folle aventure», réalisée par Gérald Hiestand et diffusée sur Espace 2 du 13 au 24 avril 2018, était consacrée aux enregistrements marquants qu' Ernest Ansermet a réalisé pour le disque (les indicatifs du début et de la fin de chaque volet de la série sont des courts extraits d'oeuvres d'Igor Strawinski, de la «Danse» de ses «Quatre études» et du «Galop» de sa «Suite no 2»).

Les 2e et 3e épisodes étaient entièrement consacrés à des oeuvres d'Igor Strawinski, l'un des compositeurs les plus importants dans l'oeuvre d' Ernest Ansermet.

Après la «Suite de l'Histoire du Soldat» au début du 3e épisode, François HUDRY avait choisi cet enregistrement de la version d'origine de «Renard».

Igor Strawinski, Renard, Michel Sénéchal, Hugues Cuénod, ténors, Heinz Rehfuss, baryton, Xavier Depraz, basse, Istvan Arato, cymbalum, Orchestre de la Suisse Romande, Ernest Ansermet, octobre 1955, Victoria-Hall, Decca

Pour écouter ce document, aller sur la page

https://www.rts.ch/play/radio/quai-des-orfevres/audio/ernest-ansermet-et-losr-lhistoire-dune-folle-aventure-310?id=9749397

des archives de la RTS et positionner le curseur de la barre temps sur 31 minutes 49 secondes, qui est le début de la présentation de «Renard» par François Hudry.

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Le sommaire de ce troisième épisode de la série d' émissions de François Hudry, avec les minutages sur les débuts de chaque séquence:

  • 01:03 Igor Strawinski, «Suite de L'Histoire du Soldat», membres de l'Orchestre de la Suisse Romande, Ernest Ansermet, octobre 1956, Decca
  • 31:49 Igor Strawinski, «Renard», Michel Sénéchal, ténor, Hugues Cuenod, ténor, Heinz Rehfuss, baryton, Xavier Depraz, basse, Istvan Arato, cymbalum, Orchestre de la Suisse Romande, Ernest Ansermet, octobre 1955, Decca
  • 50:40 Igor Strawinski, Petrouchka, version 1911», Orchestre de la Suisse Romande, Ernest Ansermet, 1957, Decca
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  • Renata Roveretto

    Cher René, parfaitement bien documenté, il y a juste le premier lien pour la brochure du concert en 1926, qui ne fonctionne pas actuellement, amicalement Renata