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Nos vacances à la mer dans les années 1950_29

1951
Claire Bärtschi-Flohr

Sanary Les Baux, carte postale achetée en 1951

A SANARY beau port de mer…

(Sur l'air de « A St-Malo beau port de mer »)

Après des vacances d'été à St-Cergue, en 1950, nous découvrons, en 1951, le littoral varois et le village de pêcheurs de Sanary-sur-mer. Nous découvrons LA MER !!! Nos parents louent une villa « Les Mimosas », située sous les baux, avec la petite plage de la jetée à deux pas.

Nous y retournerons en 1952. Les locations étaient faites pour un mois alors. Notre père, qui n'avait que quinze jours de vacance, nous quittait au milieu du mois et retournait aux Ateliers de Carouge.

Sanary_Plage de Portissol_1952_photo R.Flohr

Nous avons passé là deux étés magnifiques, qui, soixante-cinq ans plus tard, enchantent encore mon souvenir…C'est là que j'ai appris à nager… J'y ai découvert un nouveau monde, le royaume des sirènes et plus prosaïquement des oursins et des poulpes, que je m'amusais à pourchasser. J'avais, en effet, reçu pour mon anniversaire, le 4 juillet 1952, un masque et un tuba.

Que de découvertes, de nouvelles sensations… A la sieste, bien au frais dans la maison, nous lisions les pièces de Marcel Pagnol, Marius, Fanny, César, et les personnages hauts en couleur défilaient dans nos imaginations ! Le paysage se peuplait…L'inimitable accent, nous l'entendions tous les jours, au marché, à la poste, dans le bus…. Et nous essayions de l'imiter…

Pour rejoindre la Méditerranée, nous partions en train de Genève, tôt le matin, et nous arrivions en soirée. Changement à Lyon, à Marseille. Puis de la gare de Bandol ou d'Ollioules, il fallait encore enfourcher les vélos mis sur le train. La grand-mère venait à pied ou en car, ou alors Papa l'installait sur la barre avant de son vélo.

Pendant le voyage, il faisait une chaleur torride dans les wagons. Nous ouvrions les fenêtres des compartiments et nous avions, le soir, l'intérieur du nez noir de charbon.

Que de chaleur, que de bruit…

Lors de notre arrivée, nous passions chercher les clés à l'épicerie de Mme Rippert, rue Lucien Gueirard, rue qui descendait vers le port, et achetions quelques provisions pour le premier souper. Le premier soir, Maman a mis les pâtes à cuire dans de l'eau bouillante et nous avons vu surnager un nombre considérable de vers de farine… beurk. Il me semble que nous avons mangé ces pâtes, après avoir enlevé les hôtes indésirables !

Villa Mimosas au passé : 1952

Villa les mimosas au présent : février 2017_photo cbf

Installés dans notre villa, nous partions visiter la région : Toulon, ses défilés militaires du 14 juillet, ses navires de guerre (la première année les maisons du quai de Toulon était encore en reconstruction), ses marins !!!

Marseille_Cité radieuse de Le Corbusier (né à La Chaux-de-Fonds)_carte postale achetée en 1951

Marseille, le Vieux-Port. Papa se désespérait car il disait que le nouveau, reconstruit après la guerre, n'avait plus le même charme que l'ancien. La rue Paradis, « les pieds-et-paquets », le Château d'If et Le Comte de Monte-Christo (nous étions des fans d'Alexandre Dumas, grâce à Papa), la Cité radieuse… Sans oublier la montée à Notre Dame de la Garde.

En visite à Notre dame garde_Marseille_photo R.Flohr

Papa, toujours à l'affût d'une prouesse technique à réaliser fantasmait sur le sommet côtier de « La Chapelle-du-Mai ». On partait de Six-Fours, à travers une belle forêt, la forêt de Janas et il fallait monter trois cent mètres jusqu'au sommet. De là, la vue était vertigineuse sur le grand large. Papa rêvait d'y installer un télésiège pour faciliter l'accès aux touristes !!! Heureusement qu'il ne l'a pas fait !

Sur la terrasse de notre appartement, nous amassions nos « trésors » trouvés dans la mer. Des animaux que nous découvrions avec émerveillement car nous ne les connaissions pas. Il y avait des oursins, des arapèdes (le nom provençal pour les patelles (nom zoologique), des étoiles de mer. Au bout de quelques jours, à cause de la chaleur, cela sentait assez fort sur notre terrasse malgré tous nos soins.

Pendant l'été 1952, notre grand-mère, Charlotte Champendal-Glayre (1882-1968) a tenu son journal et relaté notre séjour.

Chaque jour, nous étions toute une bande de gamins pour jouer, car à notre gauche habitaient Maryse, sa mère et ses deux frères et à notre droite, la tribu Brignone louait pour le mois un appartement. Le père, la mère les enfants, Anne-Marie, Jean-Claude.... Mais venaient avec eux toute une smala de cousins, d'amis.

Sanary_la tribu sur la plage de la jetée_1952

Je veux dire deux mots sur Maryse, bonne copine. Ce fut ma première rencontre avec quelqu'un d'une autre couleur de peau. A l'époque, cela nous interpelait. Nous n'avions pas l'occasion de côtoyer ce genre de personne.

Sanary_sur la jetée_Maryse, Claire, Anne-Marie, Ninon_photo R.Flohr

Dans la maison de Maryse résidait un homme qui n'avait plus l'usage de ses jambes. Une voiture avec chauffeur venait le chercher le matin, pour l'emmener à Toulon, probablement, car on nous a raconté qu'il s'agissait du célèbre Commandant Jean L'Herminier, qui, pendant la dernière guerre, alors que les Allemands avaient envahi Toulon, avait réussi à s'enfuir avec le sous-marin Casabianca. Depuis lors, ayant rejoint les Alliés à Alger, il avait participé, entre autres, à la libération de la Corse. Les autres bâtiments qui se trouvaient dans le port de Toulon lors de l'arrivée des Allemands ont été pris par surprise. Il leur fallait un certain nombre d'heures pour mettre en marche leurs moteurs. Ils n'ont donc pas pu s'échapper. Par contre, les sous-marins pouvaient être mis en marche rapidement. Ce qui explique la fuite du Casabianca. Les autres vaisseaux se sont sabordés pour ne pas tomber aux mains de l'ennemi.

Commandant Jean L'Herminier_photo sur wikipedia

Pourtant, au début de la guerre, le Commandant L'Herminier n'avait pas remis en cause le régime de Pétain et il faisait son travail à bord de différents bâtiments, luttant contre Anglais et Français. C'est l'arrivée des Allemands à Toulon et sa fuite qui ont provoqué son ralliement aux Alliés. Le Commandant L'Herminier a écrit un livre « Casabianca », que je m'étais acheté à l'époque. J'étais déjà passionnée par ce type de sujets. Le Commandant L'Herminier est mort à 51 ans, en 1953. Nous avons séjourné cette année-là à l'Hôtel du Parc et de Primerose et n'avons jamais revu le commandant L'Herminier.

Ouvrons une parenthèse pour dire deux mots en hommage à Jeannette L'Herminier, sa sœur, (1907-2007), résistante et déportée dans le camp de Ravensbruck où elle réussit à faire 150 dessins à la barbe de ses gardiens. On peut les voir maintenant au Musée de la Déportation dans la Citadelle de Besançon.

Nous nous baignions sur la petite plage de la jetée au bout de laquelle se trouve le phare. Elle n'existe plus actuellement. La jetée a été refaite et renforcée et les rochers descendent jusqu'à la mer, sans laisser une grève.

Devant notre maison, nous voyions fréquemment, un homme unijambiste qui venait se baigner, un peu à l'écart de la petite plage. Il déposait sa jambe de bois sur le muret et descendait, de rocher en rocher, en s'aidant de ses bras et de son unique jambe, jusqu'à la mer. Puis il se mettait à nager.

En 1951, nous avons eu la chance de voir un spectacle en plein air, « L'Arlésienne » de Bizet joué par le Centre dramatique du Sud-Est (Maman a conservé un billet qu'elle a mis dans l'album de photo). La troupe s'était installée sur le terre-plein situé entre nos villas et l'hôtel des Roches-Rouges et entre la mer et les baux. Beaucoup d'acteurs sur une scène immense, il y eut même des chevaux. (Dans les années 1980, a été construite à cet endroit une « barre » d'affreux immeubles, mais leurs habitants ont une vue imprenable sur la baie).

Le dimanche, c'était le passage obligé à l'église réformée de Sanary pour le culte.

Sanary_église réformée_dépliant touristique des années 1950

En 1953, « Les Mimosas » n'étaient pas à louer à notre convenance, aussi nos parents ont réservé des chambres à l'hôtel du Parc et de Primerose, sur la route d'Ollioules. Nous y avons séjourné plus longtemps que prévu car de grandes grèves secouèrent alors la France pendant l'été, dont celle de la SNCF et nous n'avions aucun moyen de rentrer à Genève. Notre grand-mère a également relaté ces vacances dans son journal. Papa et Maman, qui voyaient la facture s'allonger à l'hôtel se sont débrouillés pour trouver une voiture qui les mette sur le chemin du retour et ils sont redescendus quelques jours plus tard avec la camionnette des Ateliers de Carouge pour embarquer tout le monde et les vélos !!!

Sanary_Hôtel Primerose_dessin M. Flohr_1953

Ma grand-mère, mes sœurs et moi, nous attendions le retour des parents à l'hôtel de Sanary. Pendant quelques jours, ce fut la grande liberté, car ma grand-mère avait beaucoup de peine à se faire obéir, la pauvre, et ne pouvait rien nous refuser. J'avais quatorze ans et j'ai pu ainsi aller danser un moment au bal du 14 juillet, sur les quais, joliment décorés de guirlandes d'ampoules colorées. Quel souvenir inoubliable !!! Quand mes parents arrivèrent avec la camionnette, nous chargeâmes les bagages et nous nous installâmes tant bien que mal à l'arrière du véhicule. Nous quittâmes l'Hôtel. Nous fîmes le voyage en deux jours. A l'époque, il n'y avait pas d'autoroutes. Nous nous arrêtâmes pour la nuit chez l'habitant, dans une vieille maison de Saint-Laurent-du-Pont, dont la tour datait du Moyen-Age, dont les chambres avaient des papiers peints sombres et fantasques et de grands lits un peu défoncés. Nous n'eûmes pas de peine à imaginer la présence de fantômes dans une telle bâtisse. Le surlendemain, notre vie quotidienne avait repris comme si rien ne s'était passé. (extrait d'un texte écrit sur la grève et mis sur la plateforme notrehistoire.ch

Sanary_au camping_été 1954_photo R.Flohr

Les années suivantes, nos parents ayant acheté une voiture VW coccinelle, ils se sont décidés à faire du camping et nous sommes retournés à Sanary plusieurs fois.

Nos grands-parents maternels avaient une voiture avant la guerre, une Nash. Notre grand-père étant décédé en 1938, et notre père mobilisé dans la ligne Maginot, notre grand-mère a vendu la voiture pour une bouchée de pain. Elle a dû être utilisée et reconvertie pour les besoins de l'armée. Au retour de ses aventures comme prisonnier en Allemagne, en 1941, notre père l'a beaucoup regrettée.

Du séjour de l'été 1954, il reste à relater un épisode qui a marqué les esprits. On en parle encore aujourd'hui !

Un spectacle ambulant de « vachettes » avait pris possession des terrains situés au-delà de la plage des Flots Bleus. Nos parents nous ont offert ce spectacle. C'était une simple arène et nous y étions à la représentation de l'après-midi.

Après une série de six ou sept confrontations entre vachette et torréadors expérimentés, pour terminer en beauté, paraît-il, les organisateurs ont proposé que les spectateurs intéressés se produisent à leur tour et essaient de gagner une quelconque cocarde accrochée entre les cornes d'une vachette superbe, qui nous parut tout de suite plus dynamique et grande que ses consoeurs précédentes.

Gérald, notre cousin, en vacances avec nous, n'écoutant que son envie et son courage, se dresse alors sur le gradin et demande à pouvoir y aller lui aussi. Il avait dix ans. Bien sûr, mes parents le lui interdisent.

Un grand nombre d'hommes sont dans l'arène et essaient de s'approcher de la bête puis sont poursuivis par elle et n'ont que le temps de se mettre à l'abri.

Sauf un, saisi tout-à-coup par la vache qui le ramasse sur son col, le lance, d'un superbe coup de rein, sur son dos.

Nous sommes médusés. Le pauvre homme n'arrive pas à se dégager. A plusieurs reprises, la vache le relance sur son dos. Bientôt, l'homme est inerte.

Son fils essaie de le tirer de ce mauvais pas. Las ! Il se fait embrocher le ventre par une corne. Le voilà hors de combat. Des aides finissent par maîtriser la bête, qui est d'une vitalité surprenante.

On apprend le lendemain par les journaux que les deux hommes sont sérieusement blessés et qu'il s'agit d'un père et d'un fils, bouchers à Six-Fours !!!

Sanary, années cinquante_carte postale de l'époque

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