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Ernest Ansermet sur sa vie - L'aventure des Cahiers vaudois (2/6)

15 mai 1965
Ernest Ansermet
René Gagnaux

Pour une courte introduction à cette causerie tenue par Ernest Ansermet le 15 mai 1965, voir le descriptif du premier fichier audio de cette série.

La transcription du texte cité ci-dessous a été un peu arrangée, et j'ai inséré quelques sous-titres caractérisant les divers points-forts de la causerie.

Épisode précédent: Enfance et débuts.

Ernest Ansermet sur sa vie - L'aventure des Cahiers vaudois

"[...] Durant mon séjour à Paris, je me suis rendu compte que ma préparation en mathématiques était très en dessous de celle qu'exigeait la Sorbonne, et que je n'avais guère d'avenir dans ce sens-là. Et puis que ma passion pour la musique était beaucoup plus forte que celle des mathématiques. De sorte que je suis rentré à Lausanne, dans l'enseignement. C'est ici que je dois m'interrompre un instant pour parler des Cahiers vaudois. [...]"

Premier mariage, fait la connaissance de Ramuz

"[...] À Lausanne (encore un hasard) j'y suis rentré en automne 1906: le professeur d'arithmétique du Collège cantonal venait de mourir. Je postulai sa place, un concours eut lieu, et j'eus la chance d'être nommé. Je me suis marié peu après, jeune, et c'est à ce moment-là que j'ai fait la connaissance de Ramuz: ma femme - ma première femme - était une amie d'enfance de Ramuz qu'elle me fit rencontrer. Nous nous sommes tout de suite très bien entendus. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, je n'avais qu'une envie, c'était de composer de la musique; alors nous formions des projets: Ramuz m'envoyait des petits poèmes de Paris, et je les mettais en musique, nous avions une correspondance très suivie. [...]"

Une revue artistique vaudoise, les Cahiers vaudois...

"[...] C'est alors que Ramuz me dit son intention de former une revue littéraire, une revue artistique vaudoise. Tant qu'il était à Paris, c'était difficile, mais lorsque la guerre de 1914 le ramena à Lausanne, la question se posa; et c'est chez moi en quelque sorte que les Cahiers vaudois se sont fondés. Nous avions dans notre groupe Budry, Gilliard, René Morax qui nous est très cher, les deux Cingria, Alexandre et Charles-Albert qui étaient des amis de Ramuz, Spiess, Adrien Bovy et surtout Paul Budry, un être très entreprenant, un être qui aurait certainement été capable de laisser une grande oeuvre littéraire faite de romans ou de poèmes, un vrai poète... mais c'était un être profondément anarchiste et désordonné: aussi était-il brillant, éclatant dans la conversation et dans la vie, mais cela ne laissait pas beaucoup de traces, parce qu'il n'avait pas assez d'organisation. Alors tous ces garçons se réunirent chez nous. [...]"

Contre un milieu extrêmement conformiste...

"[...] La situation était la suivante: le canton de Vaud, et Lausanne en particulier, est un milieu extrêmement conformiste - aujourd'hui encore, il vit sur des conventions, sur des idées toutes faites, à ce moment-là, c'était très frappant. Aujourd'hui, une génération de littérateurs s'est formée, qui prend non seulement une attitude esthétique, mais une attitude politique: les littérateurs sont de gauche ou de droite, et le font sentir dans leurs oeuvres. Eh bien, voilà ce qui me paraît un trait caractéristique de notre groupe: nous étions complètement apolitiques. Nous ne savions pas ce qu'était la gauche et la droite, et nous nous occupions véritablement de l'art. Mais nous étions profondément, et tous, anticonformistes. C'était en cela que consistait notre révolte contre le milieu: ce n'était pas une révolte ouverte comme celle des gens de gauche, c'était simplement une attitude nettement négative devant le milieu. Il ne faut pas oublier qu'à ce moment-là, pour le Pays de Vaud, une littérature devait être faite avec de beaux sentiments, et que l'art devait avoir un but moral.

Notre mouvement a été, avant tout, une prise de position purement esthétique devant la vie et devant les choses, et cette prise de position avait un caractère régional manifeste: c'était le canton de Vaud, c'était le Valais...

Mais nous ne discutions pas de questions religieuses: nous étions à ce point véritablement orientés par notre amour pour l'art, pour chacun des arts que chacun de nous cultivait, que les autres questions disparaissaient. [...]"

Reproche aux Cahiers vaudois...

"[...] Ce qui nous paraissait nécessaire, c'était d'amener cette sorte de vérité, d'authenticité de l'art. C'est cela qui a été le caractère essentiel des Cahiers vaudois, c'est d'ailleurs le caractère essentiel de l'oeuvre de Ramuz.

Je reproche donc aux Cahiers vaudois de n'avoir été qu'un mouvement esthétique, et de n'avoir pas poussé ce mouvement plus loin, jusqu'aux questions politiques et surtout éthiques.

Remarquez par exemple que dans l'oeuvre de Ramuz, sauf peut-être dans ses tout derniers ouvrages ou dans son Journal, Ramuz n'a jamais pris position nette ni devant la question religieuse ni devant la question sociale ni devant la question politique. Il n'aimait pas la Suisse allemande, c'est entendu. Il pensait qu'il était Vaudois, qu'il était Romand: il ne savait pas ce que c'était que des Suisses allemands... des gens avec lesquels on était vaguement liés par des circonstances politiques; mais il était nettement antigermanique. Il prétendait ne pas connaître l'allemand, or il avait passé deux ans à Weimar, où il était le précepteur des enfants du comte Prozor. Par conséquent, je suis sûr qu'il le connaissait très bien, mais s'il était devant un Suisse allemand, il feignait de ne pas savoir un mot d'allemand. Il en était de même de la plupart des autres, d'ailleurs. Toujours est-il que cette attitude esthétique, essentiellement esthétique, put bien être ce qui a précisément opéré le rapprochement Strawinsky-Ramuz. [...]"

La suite: Lacerda et le Kursaal de Montreux, Strawinsky, la Guerre de 1914.

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René Gagnaux
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2 décembre 2017
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