Les débuts de Payerne revisités Repérage

octobre, 2017
Payerne
Justin Favrod
Partenariat Passé Simple - notreHistoire

Parfois, l'archéologie vient compléter l'histoire défaillante. Une toute récente publication confirme une hypothèse selon laquelle un premier couvent a précédé le monastère clunisien de Payerne. Et la découverte permet de reconstruire une histoire vraisemblable de cette localité. Elle peut aussi expliquer pourquoi peu avant 963, la reine Berthe a choisi ce site pour sépulture. C'est ce qui ressort d'un article publié dans la récente revue de l'archéologie cantonale vaudoise sous la signature de Clément Hervé et Lucie Steiner.

La tombe T64 avec un des deux corps qui ont permis de dater la première église sous l'abbatiale de Payerne. Archeodunum/Archeotech. Archéologie vaudoise.

Le point crucial de cette recherche concerne la datation de deux tombes grâce à la technique du carbone 14. L'analyse permet d'affirmer que deux personnes ont été inhumées à proximité immédiate d'un édifice, sans doute une église, dans une fourchette chronologique allant de la fin du VIIe à la fin du VIIIe siècle. En effet, l'un des défunts est mort entre 670 et 780 (85,3% de probabilité et au plus tard en 870) et le second entre 680 et 780 (61% de probabilité et au plus tard en 880). Il s'ensuit que cette église située sous l'abbatiale de Payerne est au moins contemporaine, voire plus ancienne que ces deux inhumations. Les deux auteurs viennent ainsi confirmer une hypothèse émise par Guido Facciani. Tous ont participé à la récente fouille sous l'abbatiale de Payerne menée par les société Archeodunum et Archéotech sur mandat de l'Archéologie cantonale vaudoise. Guido Faccani avait mis en évidence cette première église sous l'abbatiale. Riche d'une grande expérience, il la supposait bien plus ancienne que l'abbatiale clunisienne fondée dans les années 960 par l'impératrice sainte Adélaïde pour accueillir la dépouille mortelle de la reine Berthe. La datation des deux tombes confirme son hypothèse. Or Guido Faccani constatait que cette église se trouvait à un jet de pierre de l'église paroissiale de Payerne. Cette dernière est sans nul doute celle que l'évêque Marius a consacrée le 24 juin 587. Elle est restée la paroissiale jusqu'à aujourd'hui. Des nouveaux éléments de datation, il résulte que deux églises avaient coexisté pendant un, deux, voire trois siècles avant 960 l'une à côté de l'autre.

Le plan de la plus ancienne église, en rouge, avec des agrandissements ultérieurs, peut-être dus aux travaux de la reine Berthe, puis de l'impératrice sainte Adélaïde. Archeodunum/Archeotech. Archéologie vaudoise.

Guido Facciani en tirait une conclusion: l'église sous l'abbatiale devait avoir une autre fonction que celle d'église paroissiale. Mais laquelle? Cela ne pouvait être que l'église d'un couvent plus ancien du VIIe ou VIIIe siècle. Adélaïde aurait donc restauré et agrandi un ancien couvent qu'elle aurait confié à l'ordre de Cluny. Ce scénario n'est pas absurde, car il existe un précédent. La tante d'Adélaïde, qui portait le même nom que sa nièce, la comtesse Adélaïde, a agi ainsi vers 929. La comtesse a donné le monastère abandonné de Romainmôtier à Cluny pour en faire un nouveau couvent. Certains monastères de rite irlandais très exigeant, fondés souvent au VIIe siècle, ont connu un lent déclin et se trouvaient à l'abandon. Il se pourrait donc très bien que Payerne ait abrité un couvent colombanien du VIIe siècle abandonné au Xe siècle.

Un récit possible

On peut ainsi construire une histoire vraisemblable, sinon assurée, des débuts de Payerne comme centre religieux. À l'époque romaine et burgonde, Payerne est un domaine privé, une villa. Cette propriété échoit, sans doute par héritage, à l'évêque d'Avenches Marius. Ce dernier y construit une église et l'offre en 587, avec le domaine, à l'évêché d'Avenches, qui devient assez vite l'évêché de Lausanne. Au VIIe siècle, un ou des responsables de l'Église de Lausanne auraient décidé d'y fonder un monastère colombanien, comme il y en avait à Romainmôtier, à Baulmes ou à Moutier. Ce monastère aurait périclité. Comme bien d'autres domaines appartenant à l'Église, il aurait été confisqué par un roi rodolphien au IXe ou Xe siècle. Il aurait échu comme cadeau de noce à Berthe lors de son mariage avec le roi Rodolphe II en l'an 922. Selon une antique pratique germanique, les rois rodolphiens offraient en effet des terres, des domaines, voire des villes à leurs nouvelles épouses lors de la cérémonie du Morgengabe. Selon la réinterprétation, en novembre 2016, d'un diplôme datant de 1049 par le professeur neuchâtelois Jean-Daniel Morerod, quand la reine Berthe hérite de sa mère morte en 958, elle commence à Payerne l'édification d'un couvent où elle veut reposer pour l'éternité. Sa mort en 961 interrompt les travaux. La fille de Berthe, l'impératrice Adélaïde, décide de les mener à bien dès 962. Elle confie le monastère et le tombeau de sa mère à l'ordre de Cluny.

Ainsi, en une année, l'histoire des débuts de Payerne comme centre religieux, politique et administratif a été profondément revisitée. La période allant de la fondation de l'église par Marius en 587 à la construction du monastère par Adélaïde dès 962 constituait un trou noir. On peut maintenant émettre des hypothèses sérieuses sur le déroulement des événements qui a conduit à l'abbatiale actuelle.

Justin Favrod

Pour en savoir davantage

Clément Hervé et Lucie Steiner, «Le dossier funéraire de l'Abbatiale de Payerne. Entre documentation ancienne et nouvelles découvertes», en collaboration avec Guido Faccani, Mathias Glaus, Geneviève Perréard Lopreno, Brigitte Pradervand, Antoinette Rast-Eicher et Marquita Volken, Archéologie vaudoise, chroniques 2016, Lausanne 2017, p. 87-101.

© Passé simple. Mensuel romand d'histoire et d'archéologie / www.passesimple.ch

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13 octobre 2017
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