A propos d'August Strindberg_700

A propos d'August Strindberg_700

23 octobre 2016
Claire Bärtschi-Flohr

A propos d'August Strindberg…

Au Musée des Beaux Arts de Lausanne, jusqu'au 22 janvier 2017, vous pouvez aller admirer une facette peu connue de l'œuvre d'August Strindberg (1849-1912), célèbre écrivain et dramaturge suédois : sa peinture et ses recherches photographiques.

Je suis allée voir cette exposition il y a quelques jours. J'ai découvert des œuvres belles à voir, des mers tourmentées, des falaises solitaires, des vagues reproduites jusqu'à l'obsession. Parfois un paysage ensoleillé mais ils sont rares. « Il exécute des tableaux ayant pour seuls thèmes la mer et la nature de l'archipel de Stockholm sur des matériaux bon marché qu'il a sous la main : morceaux de carton, plaques de zinc, rarement des toiles. » nous dit le guide de l'exposition.

Haute mer_Musée Sven Harrys_Stockholm

Tout cela a ravivé les souvenirs. En effet, j'ai eu la chance de me mesurer à l'œuvre du dramaturge et j'aimerais reprendre en partie un article que j'avais écrit en 2015 pour « Le Souffleur », journal des « Amis du TPR ».

« Strindberg….. Strindberg…… C'est vieux tout ça…..

Cela remonte aux années 1960. En été 1961, je termine ma première année d'études à l'Ecole Nationale Supérieure d'Art Dramatique de Strasbourg.

Michel Dubois et Dominique Quéhec, élèves de l'école, me proposent de rejoindre quelques comédiens de la troupe des Comédiens Jurassiens, dans le vallon de St-Imier, pour répéter et jouer Mlle Julie d'August Strindberg. Martine Jeanneret dans le rôle titre, Jean-Claude Blanc dans le rôle du valet et moi dans celui de Christine, la cuisinière. Ce spectacle fut joué, pendant nos vacances d'été, à La Chaux-de-Fonds, aux Breuleux, à Neuchâtel, à Porrentruy, à Saint-Imier et dans d'autres lieux.

Mademoiselle Julie est prisonnière des préjugés de son milieu. Elle est à la fois très attirée par son domestique qui est beau, plein de vie, livré à des pulsions bien agréables à susciter et à subir, mais elle le méprise et le considère comme un sous-homme.

Sa cuisinière, Christine, fiancée à Jean, est soumise, mais envieuse. Elle souffre de sa situation inférieure, de son manque d'attraction et enrage de voir le manège de Jean et de Julie sans pouvoir s'y opposer. Pour Jean, Christine est la vraie vie, Julie, un challenge !

Jean, le domestique, hait ses supérieurs et voudrait bien être à leur place. Il éprouve un sentiment de puissance en soumettant et avilissant sa patronne. Il la pousse au suicide ! La suprême punition que Strindberg réserve à la femme qui a fauté !

Ce fut ma première rencontre avec cet auteur. Puis, pendant ma troisième année d'études dans la même école, notre groupe a travaillé sous la direction d'André Steiger, metteur en scène suisse romand de grand talent, qui nous proposa trois pièces du même Strindberg : Le Pélican, Premier Avertissement et Il ne faut pas jouer avec le feu.

Je me souviens particulièrement bien du Pélican, dont je jouais le personnage principal. Une mère complètement dégénérée. C'est une femme frustrée, monstrueusement égocentrique, qui n'a pas de vie propre dans laquelle elle pourrait se réaliser et qui devient un tyran domestique, le bourreau de ses enfants, la maîtresse de son beau-fils, dans le champ clos de la famille, seul domaine où elle a du pouvoir. Son mari et ses enfants sont littéralement détruits par elle.

C'est une pièce d'une grande intensité dramatique où le talent de manipulatrice de la mère se déchaîne et où les enfants, devenus adultes, enfin capables de prendre conscience de leur aliénation, se défendent avec l'énergie du désespoir, avant de s'anéantir.

Ces pièces nous font pénétrer dans un monde de violence psychologique incroyable…. Ce ne sont pas les événements extérieurs qui rendent la vie de ces gens difficile mais leurs propres manques et leurs propres conditionnements, issus de l'éducation. Ils sont enfermés en eux-mêmes.

Contrairement à Henrik Ibsen, qui a défendu le mouvement féministe de son époque, August Strindberg est profondément misogyne. Il est convaincu que notre société patriarcale doit le rester. La femme ne peut et ne doit pas occuper dans la société la même place que l'homme. Elle doit renoncer en particulier aux activités professionnelles. La place de la femme est à la maison.

Et Strindberg de créer des personnages féminins qu'il veut nous faire condamner et qu'il veut ainsi punir en quelque sorte d'avoir osé outrepasser les règles. Paradoxalement, il nous donne à voir des femmes dont il est évident que leur drame provient de leur aliénation, exigée par cette même société. Libres et libérées, ces mêmes femmes ne seraient pas engluées dans leurs comportements inadéquats.

A nous les jeunes femmes de l'époque, les années 1960 offraient la possibilité de nous affranchir des conditionnements de notre éducation, tout imprégnée de la morale protestante ambiante. Les pièces de Strindberg entraient en résonance car, à des degrés très divers, heureusement, nous ressentions les mêmes frustrations que ses personnages. En tous cas, nous pouvions les comprendre. Elles nous montraient ce qu'il fallait éviter de faire pour ne pas être complètement aliénées.

Au-delà de leur sens, ces œuvres m'ont beaucoup fait réfléchir au travail de la comédienne : A cette drôle de faculté qu'a l'être humain de s'imprégner de la vie d'un ou d'une autre, de faire siens ses sentiments, ses pulsions, ses pensées, sa parole même, et de les vivre, de les interpréter ensuite sur une scène."

1963_photo TNS_Claire Flohr_Benoît Allemane

in LE PELICAN, la mère et le gendre-amant

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  • Martine Desarzens

    Chère Claire bonsoir, Merci pour votre document passionnant. Grâce à vous je vais aller visiter cette exposition ! Merci. Amicales salutations. Martine

  • Claire Bärtschi-Flohr

    Bonjour Martine, Merci pour votre commentaire. Je suis contente de vous revoir sur notrehistoire. Nous avons eu bien des émotions avec ce changement, hein ? Il n'est pas fait pour nous simplifier la vie !!! Mais on va s'y faire gentiment.

  • Martine Desarzens

    Chère Claire bonjour, ravie également de vous lire, c'est un pur et heureux hasard, de temps en temps je retourne sur NH pour voir ce que je vais décider de faire....mais contrairement à vous, je refuse de me faire à ce nouveau système conçu dans la tête de technocrates, NH a perdu son âme, ses valeurs et ses émotions pour devenir un grand catalogue que je ne maîtrise pas ! je ne décolère pas ! Tout ce travail qui nous a pris des jours et des jours pour écrire les commentaires, pour remplir les onglets etc...tout ce travail perdu, en tout cas pour moi, voilà l'explication de ma grande colère, j'attends d'arriver à l'indifférence pour ce site pour prendre une décision.....J'avais de très beaux documents sur le déplacement du buste de mon père du studio Victor Desarzens au Conservatoire de Lausanne....même plus envie d'essayer de mettre quoi que ce soit.....Mais nous aurons d'autre moyens de communique car j'envisage de plus en plus de me retirer complètement de ce site ! Je ne sais même pas si nos échanges sont lisibles par tout le monde....Chère Claire, je vous embrasse et certainement une prochaine fois .....Amicalement. Martine Desarzens