Repérage
Mme Guichard et un bébé cygne

Mme Guichard et un bébé cygne

1 août 1951
Photo Urs G. Arni Genève
Mairie Bellevue

Photographie prise à Port Gitana dont Mme Guichard, ici sur l'image avec son chien et un bébé cygne dans les bras, était la tenancière et propriétaire avec son mari, Sam.

Elle a été publiée le 31 août 1951 dans la Tribune de Genève pour l'article intitulé "Des comédiens, des enfants et même des bêtes". (voir retranscription ci-dessous)

Photographie aimablement prêtée par la famille Tissot-Guichard.

Pour plus d'informations sur l'article consacré à Port Gitana: https://notrehistoire.ch/entries/Kj4BXzZPWym

Port Gitana vue aérienne

Des comédiens, des enfants et même des bêtes Le théâtre à Port-Gitana

A Port-Gitana il y a donc la famille Gitan et, avec elle, le théâtre désormais.
Ils sont là six, également saisis de la grand'mère à la plus menue des bambines, par une passion dont ce n'est certes par le moins suprenant ni le moins exemplaire qu'ils l'assouvissent dans les emplois obscurs, ceux qui exigent peut-être le maximum d'application, de dévouement, d'abnégation même. Il est vrai que le Gitan prennent à cette généreuse dépense un vif et visible plaisir, et il semble qu'ils aient imaginé de jouer au théâtre en famile comme d'autres, au foyer ou sur la pelouse attenante, pratiquent la belotte ou le croquet. La différence, c'est que les parties de plaisir familiales des Gitan profitent à tout le monde, à commencer par les artistes d'ici ou d'ailleurs, qui reçoivent à Port Gitana la plus chaude hospitalité.

Appelons choses et gens par leur nom; Sam Gitan pourrait bien être le dernier spécimen d'une race qu'il y a tout lieu de craindre disparue, celle du mécène. Et, mécènes, Sam et les siens le sont donc doublement puisqu'à l'hospitalité ils ajoutent la collaboration.

Dans la grande tenue familiale, se ressentant avec grâce des goûts également nautiques de la maisonnée, les six se partagent joyeusement la tâche, où plutôt les cinq, car l'aïeule est dispensée, il va de soi, de l'uniforme bleu et blanc comportant tant pour tous le pantalon

***

La souriante douairière n'en mat pas moins la main à la pâte ou, plus exactement et joliment, aux fleurs. A elle, en effet, qui s'y entend comme peu, le soin délicat de veiller à l'enchantement floral de Port-Gitana; de répartir, de varier les essences, des futaies bordant la route jusqu'aux enrochements s'avançant dans le lac; puis de cueillir aussi et de composer les immenses gerbes ourlant somptueusement la scène.

Quant au jeune pater familias, portant d'argent aux temps, et dont le virus théâtral, a donc contaminé toute la famille, on a dit déjà que, faute d'avoir pu réaliser artistiquement sa vocation, il l'a transposée sur le plan technique. Rien de l'électricité ne lui étant plus étranger, il a équipé ses tréteaux avec une abondance, une ingéniosité et une précision qu'on est souvent loin de trouver sur bien des plateaux autrement grands. A quinze ans, Eric ajoute aux inventions et aux manipulations de Sam, et le fils avec le père se relaie ainsi au tableau de commande, sans négliger pour autant de faire le machiniste.

Et, cependant qu'on change de décor, que c'est l'entr'acte, et que le public s'assied autour des tables du bar ou du jardin illuminé, Mme Sam, mince et vive, attentive et cordiale, eh! bien, l'alerte et rieuse patronne, au visage de bronze mat, au grand oeil brun et vigilant et à la toison drue donnant envie de "faire mouton-mouton", elle est "extra", la patronne, et c'est sa propre main, Monsieur qui ne vous en doutez, qui vous sert votre bock, ou votre café-crème, Madame.

Pour terminer la distribution, il y a Monette et Dgyna, celle-ci haute à peine comme ça, celle-là un tout petit peu plus, chacune spécialisée dans l'emploi d'ouvreuse et de vendeuse de programmes, ice-cream et autres bonbons acidulés, et les deux parfaitement dignes de cette mission de confiance. L'an dernier encore, Dgyna, la cadette, potelée comme bébé, ne s'y retrouvait qu'à moitié ou au quart dans tant de numéros répartis sur des dossiers, et elle se contentait de déchirer votre coupon, de vous mener à mi-salle, puis, d'un large geste, de vous montrer l'étendue des deux cents chaises, en vous laissant entendre que vous étiez suffisamment majeur pour réussir à vous débrouiller tout seul. Et l'on riait, et l'on se débrouillait, et voici que le métier est entré maintenant dans Dgyna: c'est ma foi! dommage pour le pittoresque mais il faut bien que tôt ou tard il n'y ait plus d'enfants pour qu'il en sorte des ouvreuses modèles.

Cependant, si l'on joue ainsi au théâtre quand c'est le soir, vous devinez comme vont les après-midis à Port-Gitana, entre le grenier et ses trésors d'oripeaux et de falbalas, la salle de théâtre vide et le mystère de ces coulisses désertes et le parc aux mille et un recoins frais, propices à tous les déguisement et aux impromptus de l'imagination enfantine.

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Et puis, pour être complet, il faut dire les amis et les collaborateurs, dès la première heure, les René Jousson et les François Genoud, les Robert Curlat, les Georges Dürr et les Yves Gassmann, il faut dire même les bêtes aussi, qui ont leur rôle également, et des plus considérables, dans la maison, dans son jardin et sur son eau. Par parenthèse, voilà bien qui complète le témoignange, et saurait-on avancer meilleure référence que cet amour des enfants, des bêtes et du théâtre? Quiconque en porte autant dans le coeur mérite à coup sûr estime et confiance.

Passons sur le vaste peuple des canards - ils sont plus de la cinquantaine - des poules, plus nombresues encore, des lapins, des pigeons et des tourterelles, des chiens aussi, bien entendu, et de quelques autres animaux solidement réputés domestiques. Mais il y a "les bêtes qu'on dit sauvages" et qui cessent tout naturellement de l'être dès que leur instinct leur fait découvrir Port-Gitana.

Les hirondelles, par exemple, dont la famille s'arandit à grands cris à chaque printemps. Pour l'amour d'elles, pour qu'elles puissent librement aller et venir la prote du théâtre demeure ouverte la journée durant. C'est que les futées ont choisi, pour se mettre le mieux possible à l'abri des intempéries, de construire leurs nids dans la salle même de spectacle, au plafond et à tribord du canot attestant la passion de la feue baronne. A ne manquer ainsi représentation ni même répétition, les passereaux se sont pris à leur tour d'intérêt pour le théâtre dirait-on, et le fait est, que, de bout en bout de la comédie, il y a, au bord des nids, tout un alignement de petites têtes noires braquées vers la scène. Même il arrive parfois que, prise au jeu, une hirondelle quitte soudain sa loge minuscule et fonce vers la rampe, pour revenir en zig-zag après être allée aux renseignements. On ne saurait pourtant exiger de ces osieaux qu'ils se civilisent jusqu'à renoncer, par égard pour les spectatrices assises sous les nids, aux manifestations de la plus élémentaire hygiène. Alors pour ne faire aux hirondelles nulle peine, même légère, et pour qu'aucune atteinte ne soit portée aux chefs blonds ou bruns, "tous aimés, tous beaux", desdits spectatrices, la direction, ne reculant devant aucune ingéniosité, a paternellement disposé de petits balcons de carton devant chaque nid.

Et les cygnes donc! A croire qu'un bon vent pousse vers la crique de Port-Gitana tous les oeufs nés de père inconnu et abandonnés par une mère sans entrailles. Les six Gitan semblent attachés au rivage tout exprès pour recueillir ces épaves animales, qu'on met à couver, abusant bien un peu de sa candeur naïve, sous quelque volatile domestique. Puis quand, aux applaudissements de la famille réunie - après tout, c'est bien à son tour d'applaudir - petit cygne est éclos, il arrive qu'il s'apprivoise si vite et si bien qu'il en renie le lac natal, consente tout au plus à la baignoire, pour autant encore qu'on l'y pousse, élise la cuisine comme paradis sur terre, et tant et tant se gave qu'il en crève, le pauvre! O**u bien s'il lui vient quelque attachement pour les eaux de ses ancêtres, c'est une brute inconnue qui l'empoisonne. De toute façon, l'élevage des cygnes paraît moins bien réussir à Port-Gitana que celui des hirondelles, et c'est même là le seul motif de chagrin dans la famille Gitan. Comme des foyers où on se lamente de n'avoir point d'enfant.

Nous voilà, au moment de conclure, assez loin du théâtre. Aussi bien, faudrait-il une conclusion à cette simple histoire de gens heureux? Et, d'abord, les gens heureux ont-ils une histoire? Mettons donc qu'on n'ait rien dit, qu'il fut une baronne, jadis, qu'aujourd'hui, c'est le théâtre, que Port-Gitana continue et que la vie est douce dans ce lieu élu où s'harmonisent, au seuil verdoyant de la ville, les architectures naturelle et humaine et des grâces diverses des eaux, des fleurs et des frondaisons.

R. Mh.

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Mairie Bellevue
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15 juillet 2014
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