Société Frank Martin et Victor Desarzens

Société Frank Martin et Victor Desarzens

2 juin 2014
Martine Desarzens
Martine Desarzens

La "Société Frank Martin" fut créée le 10 mars 1979 à Lausanne et se donne pour but de cultiver la mémoire du compositeur et de contribuer à la diffusion de son oeuvre et de sa pensée.

Victor Desarzens, grand ami et admirateur de Frank Martin, fit partie du Comité de Patronage dès sa création et juste qu'à son décès en 1986.

J'ai le plaisir de partager avec vous un article écrit par Pierre Hugli, paru dans la Gazette de Lausanne le 10 juillet 1981, qui évoque les relations professionnelles entre Frank Martin et Victor Desarzens, article retrouvé dans mes papiers.

Personnellement je trouve que cet article n'a pas pris « une ride » dans les positions de Pierre Hugli !

Je remercie Pierre Hugli qui m'a aimablement autorisé de mettre cet article dans NH.

Le bulletin No 2 de la Société Frank Martin-qui s'est constituée il y a deux ans à Lausanne sous la présidence de Yehudi Menuhin-est presque entièrement consacré à une grand étude de Victor Desarzens sur une œuvre méconnue du grand compositeur suisse : la Symphonie en quatre mouvements pour grand orchestre, dirigée par Ansermet le 7 mars 1938. Victor Desarzens fut, on le sait, le plus fidèle et le plus remarquable défendeur de la musique de Frank Martin, et son précieux témoignage, écrit dans sa retraite provençale, est précieux. Il bénéficie d'une remarquable documentation; écrits d'Ernest Ansermet, échange de correspondance entre Martin et lui même : il raconte comment, après avoir participé, en tant que violoniste de l'Orchestre Romande, à la première à Lausanne, il demanda à Martin d'exhumer l'œuvre, vingt ans après….recevant alors une réponse évasive du compositeur qui ne savait pas où elle pouvait se retrouver et de toute manière jugeait une telle reprise inutile ! Après bien des recherches, Desarzens mis la main sur la partition maculée par les indications d'un chef qui l'avait dirigée après Ansermet, et obtient de Martin qu'il la remise en état : Desarzens la dirigea en Suisse alémanique, à Genève, à Lugano, à Munich….Et Frank Martin, qui auparavant doutait de son œuvre, écrivit ceci, en 1963, au chef : « Ce qui m'a frappé tout d'abord, c'est le chromatisme éperdu de cette musique, et l'accumulation de notes dissonantes qu'elle contient. Là il y a quelque chose qui n'est plus tout à fait mon moi actuel et auquel je ne peux vraiment plus souscrire. Mais ce qui m'a frappé en second lieu, à quoi je ne m'attendais pas, c'est le souffle, la continuité, la construction de tout cela. J'en suis à me demander si ce n'est pas vous qui lui avez conféré ce mouvement, ce souffle ! J'avais plutôt le souvenir d'un peu de décousu, surtout dans le finale. Tel que je l'ai entendu, j'ai trouvé tous les équilibres excellents, et l'enchaînement des épisodes tout à fait logique (…). Bravo ! Vous m'avez donné une belle joie, en me rendant confiance dans cette vieille symphonie oubliée. Mais quel tempérament sauvage, chez ce compositeur de 47 ans! » Plus encore que l'histoire passionnante de cette œuvre, l'article nous permet, grâce à l'échange d'écrits entre Martin et Desarzens, d'entrer dans l'univers de la création. Ainsi, par exemple, lorsque Martin, dans sa lettre du 13 février 1969, répond au chef d'orchestre, qui venait de lui envoyer son discours prononcé à l'Université de Lausanne lors de la cérémonie de collation du grade de Docteur honoris causa, en commentant cette déclaration ; « A l'instant redoutable où l'interprète doit rendre sensible le cœur secret et invisible de la musique, il ne dispose d'autres moyens que d'en accuser l'aspect charnel ». - Frank Martin, donc répond : « Cela me rappelle un très vieil article que j'avais écrit intitulé «Expression ou incarnation». Je crois que personne n'y avait compris grand-chose, parce que je voulais faire comprendre que pour moi la musique n'était pas l'expression de sentiments * ou du moins n'était pas que cela, et pas toujours cela ; mais quelle était ce fait que quelque chose de mon esprit s'était fait chair, s'était en quelques façon incarné dans un phénomène musicale et qu'il me semblait que cette chair musical pouvait réévoquer l'esprit qui s'était incarné. Je sens cela comme très différent de ce qu'on appelle généralement l'expression, la musique en tant qu'expression de l'homme. Et vous êtes dans le vrai du vrai lorsque vous dites qu'il faut attaquer la musique dans son aspect charnel: ce n'est que par là qu'elle peut révéler l'esprit qui est en elle ». A cette profession de foi, essentielle, Desarzens ajoute encore une éblouissante réflexion sur la nature du chef-d'œuvre et son interprétation: « L'œuvre d'art accomplie est celle où l'essentiel, qui est pure affectivité, est noté minutieusement, avec une précision technique incroyable. J'insiste sur ce point, car il est beaucoup plus important qu'il n'y paraît, et par exemple, dans telle phrase expressive de Martin ou de tout autre compositeur de génie, ce n'est pas pour rien qu'une ligne mélodique est notée dans l'espace d'une manière si précise qu'on ne saurait impunément y changer quoi que ce soit, remplacer par exemple un silence de croche par un silence de noire, car ce silence de croche est une suspension émotive aussi capitale et juste que le battement du coeur humain qui bat affectivement. Si un tel détail, apparemment sans grande importance, n'est pas respecté (il n'y a évidemment aucune importance dans une œuvre ne se référant pas à une éthique de l'ordre que je définis), la phrase perd son sens affectif et l'interprète trahit le compositeur (…) ». Comme ces propos nous paraissent proches, lumineux, remplis d'une saine connaissance, d'une humilité vis-à-vis de la création, de la Création- et comme une telle attitude devant la musique est devenue précieuse à notre époque où c'est à la « jet society » qu'est confiée la défense du grand répertoire ! La petite dizaine de chefs d'orchestre qui est en effet chargée par les commerçants de musique de former le goût du grand public international n'a bien entendu pas entendu parler de la Symphonie de Frank Martin. On souhaite pourtant que cette partition, que Desarzens juge comme l'une des œuvres capitales de ce demi-siècle dernier, puisse attirer l'attention de l'un ou de l'autre des authentiques musiciens qui continuent à exercer leur métier par l'amour de l'art.

Pierre Hugli

Ecouter cette Symphonie :http://www.notrehistoire.ch/audio/view/1602/

* Allusion aux thèses d'Ernest Ansermet in « Les Fondamentaux de la musique dans la conscience humaine », à la Baconnière. Neuchâtel 1961

Société Frank Martin :http://www.frankmartin.org/index.php/fr/societe-frank-martin

Pierre Hugli : http://www.pharts.ch/archives/pharts81/fr/accueil.php

Photo de Frank Martin; publiée sur NH, avec l'aimable autorisation de Maria Martin que je remercie.

Victor Desarzens, reçoit la distinction Docteur h.c. : http://www.notrehistoire.ch/photo/view/37087/

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  • René Gagnaux

    La richesse d'expression de ce portrait est magnifique, mais bien sûr qu'avec Fayer le résultat ne peut - en général - être que splendide! L'article est extrêmement intéressant, riche de splendides détails, m'incite à réécouter cette symphonie, que je dois avouer ne pas avoir réécouté depuis bien longtemps. Elle est très bien décrite dans cet article, je l'écoute en écrivant, dans l'enregistrement de Matthias Bamert avec le London Philarmonic Orchestra, un enregistrement de 1993 paru chez Chandos: il s'agissait du premier enregistrement commercial de cette symphonie! L'oeuvre vaut vraiment la peine d'être écoutée, elle est très inhabituelle! Il en existe un enregistrement de concert à la Phonothèque Suisse, avec votre père, Victor Desarzens, dirigeant le Radio-Orchester-Beromünster, 18 février 1981, réf. BSFILE15063, mais je n'ai pas encore eu l'occasion de pouvoir l'écouter. Je crois qu'il y a à Altdorf une filiale de la Phonothèque Suisse où je pourrais l'écouter, mais... Je rêve de pouvoir l'écouter dans le groupe Frank Martin et/ou dans le groupe Victor Desarzens, et je ne suis certainement pas le seul... Merci, chère Martine, pour cette splendide photo si bien documentée!

  • Martine Desarzens

    Cher René, Merci pour votre commentaire, en effet on comprend la "construction " de la composition d'une oeuvre et la sensibilité du chef. Oui oui je me joins à vous pour avoir l'immense plaisir d'écouter cette enregistrement avec Victor Desarzens ! Puis de le mettre dans les groupes Frank Martin et Victor Desarzens.....on peut rêver !

  • Martine Desarzens