Repérage
L'incendie de Blitzingen, le 13 septembre 1932

L'incendie de Blitzingen, le 13 septembre 1932

13 septembre 1932
Lucie Gapany-Holzer (1914-2000)
Monique Ekelof-Gapany

La photo représente nos grands-parents, Tobias et Katharina Holzer au lendemain de l'incendie qui a ravagé leur village dans la nuit. Notre grand-mère porte son premier petit-fils dans ses bras.

La photo était à la une du Tagesanzeiger de Zurich, en septembre 1932.. Un journaliste, alors en villégiature dans la vallée de Conches avait publié un article sur cet incendie. Le drame a suscité un grand mouvement de solidarité dans toute la Suisse.

Voici le récit de ma mère:

" Le matin du 14 septembre 1932, comme tous les matins, je prends mon travail au standard des téléphones de Sion. C'est là, dans le crépitement des appels que j'apprends le drame qui pendant la nuit a ravagé le destin de ceux que j'aime. Blitzingen en feu ! Blitzingen a brûlé dans la nuit !

A la mi-septembre, les récoltes sont faites. Les greniers sont remplis de froment et de seigle et les granges de foin. Soudain, un craquement sinistre tire les habitants du village de leur sommeil. Le feu ! Le village ne forme bientôt qu'un énorme brasier qui illumine la nuit jusqu'au fond de la vallée. Le tocsin sonne. Les gens courent de ci, de là. Les pompes à incendie du village trop longues à mettre en fonction sont insuffisantes face à la puissance du feu. Dans leur désarroi, les habitants perdent la tête. Ils sauvent les objets les plus futiles, oubliant dans leur buffet leurs quelques papiers de valeur. Mon père, en aidant des voisins à sauver une personne impotente d'une maison en flammes perd soudain de vue Katharina, ma mère. Il questionne anxieusement autour de lui mais personne ne sait, personne ne l'entend. Chacun n'a qu'une préoccupation, se mettre à l'abri.

Des villages voisins affluent les pompiers mais que peuvent-ils faire avec leur matériel devant l'ampleur du sinistre? En cette nuit, les trois quart du vieux village valaisan est détruit. L'église qui forme un rempart au feu, empêche la destruction totale. Après le premier tumulte, les secours s'organisent. Les paysans des hameaux voisins viennent prêter secours et chacun fait de son mieux pour soulager cette population laborieuse qui a tout perdu en une nuit.Chaque famille se serre un peu pour accueillir les malheureux. Tobias, le père, fou d'angoisse erre dans le village sinistré,il appelle sa femme…il craint le pire. L'aube grise se lève sur le village en ruines. On retrouvera Katharina, ma mère, aux abord du village, évanouie. Dans ses mains, elle serre quelques photographies et à côté d'elle gît le tableau du Sacré-Cœur de Jésus qu'elle a sauvé des flammes.

Evoquer les sentiments de ces gens frappés par ce terrible fléau est impossible. Toute leur vie de travail et de sacrifices, l'incessante lutte pour rendre leur existence et celle de leurs enfants meilleure, leurs joies et leur fierté, tout cela est anéanti en une nuit. Des vieux chalets construits pour durer des siècles ne subsistent que poutres calcinées et soubassements de pierres.

Les secours affluent de partout. Un journaliste du Tagesanzeiger de Zürich qui était par hasard en villégiature dans la vallée de Conches fera un reportage qui aura un retentissement dans toute la Suisse. En première page de l'illustré, on voit Tobias et Katharina, mes parents. Ma mère porte son premier petit-fils, Vitus Bittel, dans ses bras.

Au lendemain du drame, ils marchent sur les décombres de leur maison.

La maison des ancêtres, la maison où ses quinze enfants sont nés, le métier à tisser monté par le père et dont elle est si fière, les mètres de lin tissés encore enroulés au métier, le rouet, la quenouille… La mère ne tissera plus. L'établi du père avec le bois choisi, le jonc cueilli pour les hottes qu'il tresse, Katharina rôde sans but dans sa maison d'emprunt. Avec les secours arrivent aussi de nouveaux objets, qui remplacent les anciens, en bois sculptés. Avec ses biens, c'est le sens de sa vie qui s'en est allé en cendres."

Récit de vie

Lucie Gapany-Holzer (1914-2000)

Sion, janvier 1999

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