Enterrement de 3 internés français à Montana

Enterrement de 3 internés français à Montana

1 janvier 1916
carte: F. Monnier phot., Montana
Pierre-Marie Epiney

**Carte postale non voyagée mais datant vraisemblablement de 1916.
Selon Hugues Rey, archiviste à Montana, la "scène" de cette carte se situe en contrebas de l'ex Bellevue Palace, actuelle Clinique bernoise.

Lire ci-dessous l'évocation de ces premiers enterrements puis la lassitude qui s'empare peu à peu de la population "accueillante". Et puis, on appréciera le témoignage de cette femme enceinte qui porte en terre l'interné dont l'enfant était dans son ventre.

Article extrait du Nouvelliste valaisan du 30 novembre 1916** au sujet de l'ensevelissement, à Montana, de deux internés français morts de tuberculose (26 et 27 ans)
Cet article est sans rapport avec la carte postale qui évoque, elle, 3 internés.

Voici ce que dit Edmond Bille dans son ouvrage "le Carquois vide" au sujet des enterrements d'internés. De prime abord, la population sierroise se mobilise pour rendre honneur à ces vaillants soldats. Mais, peu à peu, le nombre de ces enterrements en banalise la portée.

Sierre, hiver 1917

On agrandit notre cimetière qui ressemble toujours davantage à un cimetière du front. Quantité de ces misérables ont laissé leurs poumons en Allemagne, et le dur hiver valaisan, salutaire aux malades superficiellement atteints, donne le coup de grâce aux moins solides et aux plus touchés.

Les nôtres [les internés de Sierre] tiennent bon. Pendant mon court passage à la place, il y eut quelques alertes, mais pas de décès. Montana, par contre, nous envoyait un ou deux cercueils par semaine et nous fournissions l'escorte : des tambours et des clairons, ainsi que le peloton d'infanterie suisse chargé de tirer les salves réglementaires. Car pour chaque mort se déroule la petite cérémonie ordonnée par le règlement de service.

Mais les pitoyables enterrements d'aujourd'hui ne peuvent se comparer aux funérailles spectaculaires du début. Les sentiments se sont émoussée et ces faits divers de l'internement, à force de se répéter, n'intéressent plus personne.

L'arrivée du premier convoi avait fortement impressionné nos populations. Un de ces moribonds décéda peu après. Sierre réclama tout de suite l'honneur d'inhumer dans son cimetière paroissial « la dépouille d'un soldat de la grande guerre ». Quelques membres de la colonie française s'agitaient afin d'obtenir pour le héros une sépulture privilégiée au pied de l'ancienne église. Les voisins avaient protesté. Et ils firent bien puisque les morts affluèrent à tel point qu'il fallut reculer les limites de la nécropole communale.

Tout le monde se souvient encore du premier enterrement qui avait pris les proportions de funérailles de grande classe.

Un interminable cortège avec fanfares, autorités, les sociétés locales avec leurs bannières et tous les soldats valides de l'internement, escorta jusqu'à sa dernière demeure ce premier cercueil recouvert du glorieux drapeau. Rien ne fut épargné au petit soldat inconnu, ni la marche funèbre de Chopin, ni les discours, ni les fleurs et couronnes, enrubannées de « regrets éternels ». On s'imaginait sans doute que cette apothéose à décorum guerrier serait sans lendemain.

Mais, là-haut, les hommes crachaient leurs poumons et mouraient, aussi nombreux que dans la tranchée. Ce fut bientôt le tour d'un Sénégalais converti. Celui-là eut sa croix comme un bon chrétien, des prêtres en surplis et une suite impressionnante pour l'accompagner au cimetière.

Mais on s'en lasse. Finalement ces trop fréquents convois à décorum militaire n'impressionnaient plus personne. Les civils ne se mêlaient plus aux soldats pour lesquels, d'ailleurs, les cortèges funèbres étaient un service commandé. Les gens du pays s'inquiétaient seulement de voir leur cimetière devenir trop petit pour contenir toutes ces tombes, avec leurs noms étrangers gravés sur des croix toutes semblables, toutes fleuries des même rubans tricolores.

J'ai gardé le souvenir d'un petit cortège particulièrement lamentable. L'escorte maintenant se trouvait réduite au strict minimum et il faisait un maudit temps d'hiver.

Ouvert par un seul clairon, le convoi débouchait sur la place déserte. La neige cinglait les visages mornes et las, et tout ce blanc faisait paraître encore plus ternes les défroques usées des porteurs et les capotes de l'escouade.

Au milieu du petit groupe, derrière le cercueil, marchait une femme très jeune, visiblement enceinte, et que deux soldats soutenaient.

J'avais pris rang dans la suite, et restai là jusqu'à l'absoute. La femme n'avait pas bronché pendant les prières, et jusqu'à la salve finale on ne la vit pas tressaillir. Mais, la bière descendue, au moment où ses compagnons allaient l'emmener, on entendit ce bruit sourd que font sur les planches les premières pelletées de terre. La femme poussa un cri terrible. Je la voyais de profil, le ventre déjà haut, hurlant comme une bête blessée, appelant l'ami disparu pour toujours, étalant aux yeux de l'assemblée, sans honte, sans pudeur, comme un témoignage à la fois douloureux et fidèle, le signe trop visible de son pauvre amour effondré.

Edmond Bille, le Carquois vide, la Baconnière, 1939

Voir aussi :

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