Une histoire en cartes postales_20 Repérage

1905
Raon L'Etape, Vosges
Claire Bärtschi-Flohr
Claire Bärtschi-Flohr

Un grand oncle jamais rencontré*.*

Comment la découverte de quelques cartes postales retrouvées chez sa grand-mère et conservées par un passionné de généalogie nous racontent toute une histoire et font revivre des jeunes gens qu'on ne connaissait pas et dont l'existence découverte vient enrichir le tableau familial.

« Ma chère Lina…»

« Ich, dein lieber Charles, für immer….. »

J'avais entendu dire que mon grand-père paternel avait eu un frère, mort très jeune. Je ne connaissais même pas son prénom. Je l'ai découvert, il y a quelques années seulement, sur des documents d'état-civil. Mon grand-père lui-même fut tué au combat en 1915. Mort pour la France ! A 34 ans. Pour mes sœurs, pour moi, et sans doute même pour mon père, son fils, qui avait quatre ans lors de ce décès, il n'était qu'un portrait retouché, encadré, dont l'angle droit au bas du cadre était affublé d'une médaille de la croix de guerre, attribuée à titre posthume. Ce portrait était suspendu au mur du bureau de mon père. Seul souvenir de son papa….

Beaucoup plus tard - quand on aborde la vieillesse, on se penche avec intérêt sur son enfance, ses racines, - j'ai déposé une partie des informations familiales recueillies ici ou là sur un site généalogique en ligne. (Voir mon récit : « notre famille et la guerre de 1914-1918 où vous découvrirez nos liens familiaux entre la Suisse romande et la France).

Grâce à cette démarche, une belle rencontre, d'abord par échange de courriels, puis en chair et en os à Strasbourg, me permit de faire la connaissance d'un petit cousin qui possédait une photo de mon arrière grand-père et une de mon arrière grand-mère, prises chez un photographe de St-Dié, Vosges. Quelle chance inouïe ! Le prénom de ce petit cousin : Didier. Je pus constater alors que mon père ressemblait à son grand-père !

Didier avait aussi en sa possession un certain nombre de cartes postales échangées, d'une part, entre mon grand-père et mon grand-oncle et d'autre part une jeune fille appelée Lina, son arrière grand-mère à lui.

Voici leur histoire.

Ces trois-là sont cousins du premier degré et ont l'air de bien s'apprécier. En 1905, Lina a quinze ans, Charles 18 et Auguste 24. Auguste et Charles habitent Raon-L'Etape, dans les Vosges, Lina, Place des Ponts-Couverts à Strasbourg. A cette époque, il y a une frontière entre les Vosges et l'Alsace. Cette région a été annexée par l'Allemagne en 1870.


carte envoyée en 1909 par Jeanne, la soeur de Lina.

Charles écrit des cartes postales à sa cousine dans les années 1905, 1906, 1907, certaines rédigées en allemand. Lina parle certainement l'allemand. Elle vit à Strasbourg. Depuis 1870, c'est la langue officielle en Alsace. Et ses cousins parlent le français, bien que leur père soit de langue allemande. Mais il leur arrive aussi d'écrire en allemand.

Les cartes que Charles envoie à Lina semblent indiquer qu'il éprouve un sentiment plus qu'amical, disons assez tendre pour sa cousine. Il les signe en effet «Ton Charles qui t'aime », « Ton Charles pour la vie ».

9.8.1905

Ich, dein lieber Charles für immer.

Difficile de traduire ces cartes. Je me suis approchée d'un professeur d'allemand qui a déclaré forfait. Sur cette carte, on peut tout de même lire « unser Vütschel » qui semble être un petit nom d'amitié alsacien et qui signifie « poulain ». Charles parle aussi de sa main, qui ne va guère mieux…. « Mein Hand geht ein wenig besser aber nicht viel ».

« un beau salut de Charles Flohr. Il remercie pour les bonbons que Lina lui a offert »

Signé Charles et Auguste Flohr (le père ou le fils ?) et dans le coin à gauche on peut lire « C. Mann » (Caroline), la signature de la mère.

*« Je ne suis pas encore guéri »*écrit Charles le 21 avril 1906. Sans doute souffre-t-il déjà de la maladie qui va l'emporter une année plus tard.


date illisible


Janvier 1907

…*enfin tout ce que tu peux souhaiter toi-même……

* « Ton cousin Charles, pour la vie »….

date illisible

Hélas, il mourra de maladie le 17 juillet 1907, à l'âge de 19 ans, quelques jours avant son vingtième anniversaire. Quels furent les sentiments de Lina pour ce cousin trop tôt disparu, nous ne le savons pas, n'ayant pas retrouvé les cartes envoyées par elle.

Peu avant le décès de Charles, Auguste, le frère aîné de Charles écrit à Lina :

« Ma bonne petite Lina, Jusqu'à ce jour, je n'ai pu t'écrire ma lettre, parce qu'il faut que je sois sans cesse auprès de mon petit Charles, le pauvre. Il est si content lorsque je suis là. Mais dès que je pourrai, je t'écrirai. Excuse s'il te plaît mon écriture, je vais vite afin que cette carte parte par le train pour que tu l'aies demain. Ton cousin Auguste ».

Puis vient le temps des condoléances et Auguste répond à Lina qui lui a sans doute écrit une lettre à propos de son frère. Il lui envoie une carte, lui promettant une lettre en retour.

1907

Ma bonne petite Lina, nous avons reçu ta belle lettre et sous peu je t'en enverrai une à mon tour. En attendant, je t'embrasse bien fort. Puis la vie continue….. Et Auguste se réjouit de la venue de sa cousine :


_....*tous ensemble, nous irons nous noircir les dents avec ces petits fruits que tu as trouvés si bons, il y a si longtemps…….*24.06.08

En séjour chez son cousin Auguste à Raon L'Etape, Lina reçoit une carte (expéditeur non identifié) qui rappelle qu'il y a un an que Charles est décédé :

17.07.1908

Lina n'est pas épargnée par les décès. En 1905, elle perd sa mère, en 1907, son cousin Charles et en 1915, son cousin Auguste et son frère Charles.

Enfin, Une carte d'Auguste laisse supposer que Lina s'est fiancée (elle se marie en 1913) et Auguste se fait l'interprète de son frère qui n'est plus en lui écrivant ce qui suit :

1909

Chère Lina, Je t'envoie cette carte mais si notre cher Charles était là ce serait lui, et je te prie de considérer et de la garder tout comme si elle venait de lui, ce cher aimé frère qui t'aimait jusqu'à sa dernière heure. Reçois, chère Lina, mes baisers. ton cousin Auguste Flohr.

Quarante et une cartes postales…. Dix-neuf écrites en allemand. Toutes sont adressées à Lina. On l'a vu, elle habite Place des Ponts Couverts à Strasbourg. Les Vosgiens écrivent l'adresse en français, la sœur de Lina, venue en visite dans les Vosges, note l'adresse de sa sœur en allemand : Gedeckte Brückenplatz, Strassburg.

En elles-mêmes, ces cartes sont déjà des documents intéressants, nous faisant connaître le genre de cartes illustrées en usage alors.

Quelques cartes ont été écrites par mon arrière grand-père et mon arrière grand-mère, qui signent « Uncle und Tante » et par la sœur de Lina, Jeanne. Les écrits en allemand de mon arrière grand-père et de Jeanne sont difficiles à déchiffrer, à cause de l'écriture ancienne.

Didier possède plusieurs jolies photos de Lina mais je n'ai pas retrouvé le moindre portrait de Charles. En trouver un maintenant me paraît bien improbable. Pourtant, je rêve d'en découvrir un, un jour. Je voudrais voir son visage, ses yeux, et faire enfin la connaissance de ce jeune homme au destin tragique.

Lina en 1905, probablement en deuil de sa mère.

Auguste Flohr en 1909

Et Charles ?

Vous devez être connecté/-e pour ajouter un commentaire
  • Martine Desarzens

    Claire, MERCI pour cette histoire familiale émouvante. Vos documents sont si beaux, et amusants........

  • Marie Liers-Beguin

    Bonjour ces documents si touchants sont une part de vos ancêtres léguée àlapostérité - . Merci de les partager car à travers eux, nous remontons le fil de l' Histoire ..

  • Monique Ekelof-Gapany

    Bonjour Claire, Quelle extraordinaire découverte vous partagez ainsi avec nous. C'est tout un pan de l'histoire illustrée par d'adorables cartes postales aux écritures révélatrices des liens culturels qui existaient entre l'Allemagne et la France avant la déchirure de la guerre de 14-18. Encore merci de m'avoir signalé ce groupe auquel je voudrais participer. Cordialement.