L'Inédit
Le départ

Le départ

1 septembre 1965
L.Bernardi
Mauro Bernardi

Cette image, nous montrant mon père, mon petit frère et moi, place Dorcière à Genève au début de l'automne 1965, a bien failli être la dernière photographie prise de nous sur sol helvétique avant sans doute pas mal d'années…

Mon père (qui était le plus adorable des papas bien qu'il ait sur cette photo des airs d'authentique gangster), venait en effet tout juste d'être mis au chômage par le propriétaire du commerce de fourrures pour lequel il travaillait. N'ayant que peu de perspectives d'avenir en Suisse et ayant la nostalgie de son pays, il décida de retourner vivre avec femme et enfants en Italie, et plus précisément à

Saint-Vincent, le petit village valdôtain d'où était originaire ma mère (on peut d'ailleurs voir au second plan du cliché pris par cette dernière, l'autocar qui assurait à l'époque la liaison Genève-Aoste, via le tout nouvellement créé tunnel du Mont-Blanc).

Après avoir passé un peu plus d'une année à durement gagner sa vie dans les hauts fourneaux d'une usine sidérurgique, mon père reçut un soir l'appel inopiné de son ex-employeur. Ce dernier lui annonçait qu'ayant pu redonner du souffle à son entreprise, il serait prêt à le réengager s'il acceptait de revenir à Genève, où par ailleurs un nouvel appartement l'attendait déjà. Ni une ni deux, et sur le conseil avisé de ma mère, nous refîmes donc nos bagages pour la cité de Calvin que nous n'allions désormais plus quitter. Il m'arrive parfois, à plus de quarante-cinq ans d'écart, de me demander ce qui serait advenu s'il n'y avait pas eu ce soir là, ce coup de téléphone… D'autres circonstances nous auraient-elles tout de même permis, à ma famille et à moi, de reprendre un jour le chemin de la Suisse? Ou nous serions-nous définitivement installés en Italie, auquel cas mon parcours aurait forcément été en tous points différent de ce qu'il est aujourd'hui? Si il est bien évidemment impossible de le savoir, une chose est néanmoins sûre: certains "hasards" font parfois prendre à l'existence un tournant décisif. Et s'il y en eut bien quelques autres par la suite, celui-ci fut sans doute pour moi l'un des premiers.

Mon père, portant dans ses bras mon frère nouveau-né, est prêt à embarquer avec toute sa famille sur l'autocar qui nous ramènera vivre en Italie. Et à en croire mon expression sur cette photo, la chose ne semble pas vraiment me réjouir…

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