L'arrivée des Italiens Repérage

© Témoignage de Monsieur Giuseppe Montalbano
Sylvie Bazzanella

Le lac Majeur est une très belle région, un peu comme le lac Léman

Je suis né en 1931. Je suis originaire de Intra. C'est une ville de la même taille que Renens qui se situe sur le lac Majeur. Elle n'est qu'à vingt-trois kilomètres de la frontière suisse. C'est une très belle région, un petit peu comme le lac Léman. A la maison, nous étions quatre enfants: trois garçons et une fille. J'étais le troisième. Mon père était banquier.

Mon père a fait tout ce qu'il a pu pour sauver mon frère

Quand j'avais une douzaine d'années, c'était la guerre. C'est peut-être quelque chose qui va vous faire sourire mais l'école était interrompue. Chaque heure, nous devions quitter la classe à cause des avions. Il n'y avait pas d'abris. Nous allions au bord d'une rivière. Intra en latin veut dire entre. Intra est entre deux rivières. La ville a été quatre fois bombardée et deux fois mitraillée.

Les Allemands recherchaient les jeunes gens pour les emmener travailler en Allemagne. lls avaient besoin de main- d'œuvre. Les familles cachaient leurs enfants. Mon frère aîné avait dix-huit ans. Une nuit, à trois ou quatre heures du matin, les Allemands ont tapé à la porte. Ils sont entrés. Ils savaient d'après leur liste que mon frère avait l'âge d'être envoyé en Allemagne. Ils l'ont ramassé. Mon père a fait tout cc qu'il a pu pour sauver mon frère. Il est allé chez le médecin pour avoir un certificat attestant que mon frère avait la tuberculose. Mon père est allé ensuite voir Monsignore, qui lui-même est allé voir les Allemands à la caserne pour leur apporter le certificat. Mon frère a été libéré mais il ne s'est jamais vraiment remis de cet évènement.

Nous avions de l'argent mais il n'y avait rien à manger

Pendant la guerre, nous crevions de faim. Nous avions de l'argent mais il n'y avait rien à manger. Je conserve un souvenir marquant de cette époque. A plusieurs enfants, nous partions de nuit à vélo pour aller chercher du riz dans les fermes du Piémont voisin. Il y avait beaucoup de kilomètres à faire. Et puis au retour, si nous étions contrôlés par les Allemands, ils nous confisquaient notre précieuse cargaison.

A cette époque, je m'intéressais plus aux filles qu'à mon travail

J'ai commencé une formation de technicien électricien, mais c'était très difficile de trouver un emploi. A dix-neuf ans, j'ai monté une petite entreprise. C'était trop tôt ! Je n'avais pas d'expérience. L'entreprise a mal tourné. Il faut aussi dire qu'à cette époque, je m'intéressais plus aux filles qu'à mon travail. En 1955, l'entreprise à fermé. Mes parents m'ont obligé à aller passer quelque temps chez ma tante en Suisse.
Moi, j'étais très attaché à l'Italie. La guerre était terminée depuis longtemps. Les années cinquante étaient une époque magnifique pour un jeune homme de vingt ans. Quitter mon pays était vraiment une grosse punition pour moi. Ma mère savait qu'en Suisse c'était rigide, dur. Elle pensait que cette expérience me remettrait dans le droit chemin.

Je suis arrivé à Lausanne le jour de la Fête nationale

Je suis arrivé en Suisse le 1er août 1955. Je ne savais même pas ce que c'était la Fête nationale. Il était deux heures quarante-quatre du matin. A la gare de Lausanne, les gens s 'amusaient. Je ne connaissais pas un mot de français. J'avais un bout de papier sur lequel était inscrite l'adresse de ma tante. J'ai pris un taxi en donnant le papier au conducteur. Il m'a parlé et je lui ai répondu en italien, disant que je ne comprenais rien. Il s'est mis à rigoler. Lui aussi était Italien. En arrivant à Renens, ce qui m'avait frappé, c'était les lampadaires orange disposés le long de la route. A ce moment, sur la route de Lausanne, il n'y avait pas encore de constructions en continu, mais il y avait des lampadaires. C'était comme des lanternes. C'était magnifique. Je sortais du train et je n'avais jamais vu ça. Nous sommes arrivés à Crissier. Ma tante avait reçu un télégramme annonçant mon arrivée. Elle était en robe de nuit sur le pas de la porte. Le taxi a dit à ma tante qu'il reviendrait le lendemain matin pour encaisser la course. L'honnêteté qui existait en Suisse, c'est une chose qui vous reste en mémoire.

La visite médicale à la frontière a été abolie en juin 1964

Les Italiens qui venaient en Suisse devaient descendre du train à Brigue. Il y avait la visite médicale. Ils passaient parfois toute la nuit sans rien à manger. Il y avait les hommes et les femmes ensemble. C'était quelque chose d'immoral et de dégradant. Vous étiez une cinquantaine de personnes. C'était terrible! Ces gens, admettons qu'ils venaient de Sicile ou de Sardaigne, avaient voyagé peut-être un jour et demi ou deux jours en train, donc ils ne pouvaient pas être très présentables. Certains n'étaient aussi pas très propres. Et ça, c'était honteux. Ça a fait un scandale après. Cette visite a été abolie en juin 1964 avec la révision de la Convention italo-suisse, Des excuses devraient être faites aux émigrants qui passaient la visite médicale au poste frontière.

Une circonstance a influenc****é ma v****ie professionnelle

Au dessus de chez ma tante, il y avait un monsieur qui était chef dans l'entreprise d'électricité Duvoisin à Prilly. Il m'a proposé d'y venir travailler. J'ai accepté. Là, j'ai connu la maison Oerlikon. J'ai postulé pour devenir câbleur. On m'a répondu que je devais passer un examen. Je suis allé à la gare du Flon. J'ai passé mes examens. Le 13 décembre 1955, j'ai reçu une lettre d'engagement. Je m'occupais de la mise en service des centrales électriques, toujours en montagne.

Une circonstance a influencé ma vie professionnelle. Mon directeur m'a proposé d'acheter une machine pour préparer le travail avant la mise en services des centrales. Au début, je travaillais la nuit. Je notais toutes les indications. A la suite de cela, j'ai fondé mon entreprise. Cette année, elle fête ses quarante-trois ans. C'est la maison Gravotec qui se trouve rue du Lac à Renens. Le contrat du notaire disait que j'en deviendrais l'unique propriétaire lorsque j'obtiendrais mon permis d'établissement.

Nous avons créé l****a Juventus de Lausanne

J'aimais le football. Avec des copains, nous avons créé la Juventus de Lausanne. Au départ, elle était financée par la Juventus de Turin. C'était en 1963. Le club a bien fonctionné. II faisait partie de la fédération de la Satus, qui regroupait la corporation des ouvriers. Elle avait son propre championnat. Une fois, nous sommes allésfaire un match en Russie.

Réf : Dis-moi d'où tu viens et raconte-moi Renens

Article extrait du Journal de la CISE (Commission Intégration Suisses Etrangers de Renens)
©Ville de Renens

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Sylvie Bazzanella
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15 juillet 2012
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