Philippe Macasdar se souvient de Benno Besson

Philippe Macasdar
Bertrand Theubet

Il se souvient…

Une nuit à l'opéra

Je me souviens que Benno Besson, ayant pris connaissance des conditions de la création de La flûte enchantée au Theater en der Wien, un théâtre populaire des faubourgs de Vienne, m'avait dit qu'il aurait préféré la présenter à la Comédie de Genève plutôt qu'au Grand-Théâtre.

Je me souviens qu'il aurait voulu un plus petit orchestre.

Je me souviens, qu'avec Jean-Marc Stehlé son décorateur et ami, il pestait contre la surenchère technologique des versions CD qui, selon lui, tendaient à une perfection factice tout en discréditant l'audition immédiate de la musique, en représentation. Sa fragilité, son unicité.

Je me souviens qu'il s'était ingénié à impliquer concrètement les deux chefs d'orchestre dans le développement de la mise en scène - à certains moments où il pensait utile de les faire entrer en contact explicitement avec les chanteurs, bref à les faire jouer - et que le premier d'entre eux avait abandonné toutes ses recommandations, une fois le spectacle présenté au public.

Je me souviens qu'il avait porté une grande attention au livret de Schikaneder dont il a mis en scène tous les monologues et dialogues avec un soin extrême.

Je me souviens que, bien des années après Genève, lorsqu'il avait repris le spectacle à l'Opéra Garnier à Paris, il m'avait dit, avec un plaisir malicieux, avoir insisté encore plus sur la stupidité arrogante et patriarcale de Sarastro.

Je me souviens qu'il avait d'emblée mis de côté l'interprétation maçonnique qui lui apparaissait comme réductrice, ridicule et aliénante.

Je me souviens qu'il était heureux d'avoir réussi à intégrer le dernier chœur comme partie prenante des saluts du spectacle. Ainsi la morale de cette fable, qui lui semblait fort discutable, était en quelque sorte dissoute dans le rituel de la machinerie opératique. Sarastro et les prêtres saluant le public tout en concluant leur chant.

Je me souviens que jamais il n'aurait pu mettre en scène cet opéra, avec un tel sens des enjeux et des situations, s'il n'avait pas auparavant travaillé Molière, Brecht, Shakespeare, Aristophane, Sophocle, Schwartz et Gozzi.

Je me souviens de sa colère froide et affligée dès le moment où les répétitions avec orchestre ont commencé.

Je me souviens le voir comme face à un continent poétique, sensuel et musical (son travail avec les artistes et artisans) qui disparaitrait, comme une Atlantide, sous les glaces et les ors du conformisme.

Je me souviens l'avoir entendu dire : plus jamais ça !

Je me réjouis d'assister aux représentations genevoises de L'amour des trois oranges.

Philippe Macasdar

Directeur de Saint-Gervais Genève, le théâtre

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Bertrand Theubet
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9 juin 2011
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