Le Ranz des vaches fribourgeois

© textes : L. Gauchat, L. Favrat. Illustrations : G. Roux
Sylvie Bazzanella

Le Ranz des vaches fribourgeois

Le plus remarquable poème patois que la Gruyère ait produit, est incontestablement le ranz des vaches. Après avoir, dans les siècles passés, ébranlé l'âme des jeunes guerriers suisses servant dans les armées étrangères, en leur rappelant tout ce qu'ils avaient laissé de plus cher dans leur patrie, cet air célèbre nous remplit encore d'une douce émotion, lorsque nous l'entendons chanter dans nos fêtes patriotiques. Aux étrangers qui ne comprennent pas qu'un chant si simple puisse produire de tels effets, nous répondons que le ranz des vaches a pour nous des charmes secrets qu'il ne révélera jamais à des profanes, qu'il nous dit des choses ineffables dans un langage mystérieux que l'on n'apprend que dans nos Alpes. « Tout vrai Suisse a un ranz éternel au fond du cœur », a dit Sainte-Beuve.

© Extrait de : Etude sur le "Ranz des vaches fribourgeois" / L. Gauchat - Collection : Beilage z. Kantonsschulprogramm, Zürich, 1899

Le Ranz des vaches qui est chanté, avec des variantes dans tout le pays, paraît originaire de la Gruyère ; il est du moins probable que les armaillis des Colombettes en ont eux-mêmes composé les paroles, réunis le soir autour du large foyer du chalet. C'est à ce chant qu'est attaché l'air célèbre, celui que Viotti prenait tant de plaisir à jouer dans toute sa simplicité, et qui fait encore l'admiration de tous les virtuoses. Cet air est fort ancien ; du moins on l'imprimait à Bâle en 1710, dans une dissertation sur la nostalgie, ce qui suppose qu'alors déjà il était populaire et connu depuis longtemps. Il est certain aussi qu'il appartient bien à la Suisse française. Quant aux paroles, qui sont plus modernes, il y a évidemment, dans les refrains, une imitation ou du moins un ressouvenir des Kühreihen de la Suisse allemande. Et le fait de ce ressouvenir n'a rien d'invraisemblable, si l'on songe que la Gruyère confine aux pays allemands, et que le canton de Berne, son voisin, compte trois ou quatre de ces ranz ou kühreihen. Nous disons que ce ressouvenir apparaît dans les refrains ; mais c'est surtout dans ce cri d'appel pour les vaches, ha ! ha ! liauba, lequel se retrouve dans la Suisse allemande et dans ses Kühreihen. A Glaris, dans les Grisons et dans l'Appenzell on entend : loba, ho ! loba :

« Ho ! Loba

Dort oba,

Komm aba,

Muszt haba

Dein Salz. »

(Chanson grisonne, citée par Baldini, dans ses Mimosen.)

Dans les Alpes de Berne et de Lucerne, (on dit plutôt lobe : ho ! lobe, ha ! lobe, et l'on emploie aussi fréquemment le diminutif Löberli. Or le patois gruyérien, qui affectionne les ll mouillées, a prononcé liauba, qu'il faudrait écrire lhoba, avec le lh des provençaux. Enfin ce mot lhoba, loba ou lobe n'a pas de racine dans les langues romanes, et il ne peut être qu'allémanique.

Cela dit, il n'en demeure pas moins que le ranz des Colombettes a son caractère propre, et qu'il diffère foncièrement des Kühreihen du reste de la Suisse. Ceux-ci, en effet, ont plus de bonhomie et de naïveté, outre cette fleur de sentiment qui va si bien à la poésie allemande : le nôtre, au contraire, a toute la malice d'un fabliau, et l'on sent dès l'abord qu'il est d'inspiration gauloise.

© Extrait de : Le Ranz des vaches de Gruyère / L. Favrat - Lausanne, février 1868

Lieu date : Vevey : Le Cadratin, 2008

Note : Réédition du livre paru en 1868 chez J. Dalp à Berne

Gravures sur bois par G. Perrichon et Burki & Jeker

Tout savoir sur les différents Ranz des vaches : textes, traductions, partitions, etc... Recherches sur les Ranz des vaches

Voir également : Le Ranz des vaches

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