Igor STRAWINSKY, Concerto pour violon et orchestre, Christian FERRAS, OSR, Ernest ANSERMET, enregistrement RSR

RSR / RTS
René Gagnaux

Igor STRAWINSKY... Dans l'épisode «1935» de la série d'émission «Les annales radiophoniques de l'OSR» de Jean-Pierre AMANN - que l'on pouvait écouter sur «Espace 2» le 2 mai 2018 dans «Poussière d'étoile» - furent rediffusés plusieurs splendides documents avec l'OSR sous la direction d'Ernest Ansermet, dont un enregistrement du concerto pour violon et orchestre en ré majeur d'Igor STRAWINSKY.

Cette oeuvre fut donnée en première audition suisse le vendredi 18 janvier 1935 par l'Orchestre de la Suisse Romande (OSR) sous la direction d' Ernest ANSERMET, avec Edmond APPIA - à cette époque premier violon de l'OSR - en soliste. Le concert fut certes diffusé en direct à la radio, mais il n'en n'existe pas d'enregistrement. C'est pourquoi fut rediffusé ce 2 mai 2018 un enregistrement plus tardif, datant de 1966 - l'un des derniers concerts d'Ernest Ansermet comme chef titulaire de l'OSR.

Quelques précisions sur l'oeuvre: début 1931, Willy STRECKER, le directeur des éditions Schott, poussa Strawinsky à entreprendre l'écriture d'un concerto à l'intention de l'un de ses amis, le violoniste américain Samuel DUSHKIN. Après bien des hésitations, Strawinsky avait fini par accepter, à la condition, comme il le rapporte dans ses «Chroniques de ma vie», que l'instrumentiste «se mettrait à mon entière disposition pour me donner toutes les indications techniques dont je pourrais avoir besoin». La composition de l'oeuvre fut rendue financièrement possible grâce à Blair FAIRCHILD, compositeur, diplomate et mécène, «patron» de Samuel Dushkin.

cité de l'ouvrage «Chroniques de ma vie» d'Igor Strawinsky dans la réédition que Denoël a publié en 2000 (ISBN 2207251772, 9782207251775, EAN13: 9782207251775), une splendide réédition, très réussie (la première publication de cet ouvrage date de 1935). Cette réédition contient en plus une discographie critique des oeuvres de Strawinsky. Le livre n'est toutefois hélas plus disponible (du moins actuellement: juin 2018), et hélas assez difficile à trouver en occasion / antiquariat. Les éditions précédentes sont plus facile à trouver, mais n'ont pas de discographie.

Strawinsky commença d'esquisser l'oeuvre à Paris, composa les deux premiers mouvements et esquissa le troisième lors d'un séjour à Nice, puis termina le concerto au Château de la Véronnière de Voreppe en Isère. Les manuscripts sont datés du 20 mai 1931 (1er et 2e mouvements) et du 10 juin 1931 (3e mouvement, celui du 4e mouvement n'étant pas daté. La partition de l'oeuvre est signée et datée «Voreppe (Isère) la Vironnière, 13/25. Sept. 1931».

Le concerto est en quatres mouvements, les deux extrêmes de tempo vif - «Toccata» et «Capriccio» - encadrant deux arias centrales plus lentes - simplement nommées Aria 1 et 2. Samuel Dushkin en donna la première audition à Berlin le 23 octobre 1931, avec le Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin (RSB) sous la direction du compositeur.

Une courte description:

"[...] L'ombre de Bach plane sur la partition qui emprunte à la suite le titre de ses quatre mouvements: Toccata, Aria I, Aria II et Capriccio. Exposés dès les premières mesures, un accord déployé sur le registre entier du violon et une cellule de cinq notes nourriront toutes les parties du concerto. La première emprunte à la musique du XVIIIe sa scansion implacable et la neutralité de son matériau thématique que s'échangent sans cesse soliste et orchestre.

La première aria débute par une invention à deux voix où, sur la basse régulière énoncée par les violoncelles, le violon brode une mélodie parcourant en permanance la tonalité de son ambitus. Le tissu sonore se densifie ensuite progressivement jusqu'au climax central: deux grands accords de tutti dont le soliste remplit la résonnance d'arpèges - dans la plus pure tradition des préludes pour clavier de Bach.

La deuxième aria est une cantilène extrêmement ornée, ponctuée par les retours de la cellule initiale (l'accord générateur du concerto dans une figuration très tendue). L'accompagnement, confié aux cordes, est quant à lui entièrement construit sur les ambiguïtés harmoniques «néotonales» qui feront la saveur de nombreuses pages du Rake's Progress.

Le Capriccio final joue sur la distorsion des formules mélodiques de la musique du XVIIIe siècle. Gammes au phrasé «décalé», marches aux accents déplacés, semblent mener à la strette dont les accents irréguliers de timbales sacrifient à la «veine tellurique» du compositeur du Sacre du printemps. [...]" cité d'un texte de Rémy Campos publié dans le programme des concerts des 20, 22 et 28 octobre 1995 de la Cité de la Musique.

L'enregistrement présenté ici fait revivre le premier concert de l'abonnement de la saison 1966-1967, donné le 5 octobre 1966 au Victoria-Hall de Genève avec Christian FERRAS et l'Orchestre de la Suisse Romande sous la direction d' Ernest ANSERMET. Un écho de ce concert écrit par Franz WALTER et publié dans le Journal de Genève du 6 juin 1966, en page 12:

"[...] Bien qu'il ait conduit déjà, il y a une quinzaine, un de nos «Mercredis» radiophoniques, ce premier concert de l'abonnement marquait, en fait, la rentrée devant le public genevois d'Ernest Ansermet, après un été de repos dicté par l'épuisante fin de saison précédente que l'on sait. Et pour cette rentrée, le chef de l'OSR nous a offert une somptueuse, une admirable quatrième symphonie de Brahms.

J'ai été frappé à maintes reprises, ces dernières années, du contact toujours plus pénétrant d'Ansermet avec le monde brahmsien. L'exécution d'hier en est un témoignage nouveau. Elle avait cette température particulière qu'on ne peut faire jaillir que de l'intérieur, où le sentiment naît d'un accord sensoriel et spirituel dont l'équilibre est facilement rompu par le moindre excès comme la moindre manque. Interprétation qui retrouvait si justement ce caractère «affetuoso» caractéristique de Brahms, mais s'imposa également par son étonnante vigueur.

Cet «affetuoso» on le découvre aussi chez Haydn, mais combien différent à travers son sourire mutin ou mélancolique, voire élégiaque. Et dans ce climat-là, l'affinité d'Ansermet me paraît moins directe, quel que soit le dessin si juste accordé à la symphonie en ut mineur qui ouvrait le programme.

C'est à Christian Ferras que l'on avait fait appel pour interpréter le concerto pour violon de Strawinsky. Il y a fort longtemps que l'on n'avait entendu dans nos concerts cette oeuvre quelque peu délaissée des violonistes. J'étais personnellement curieux de juger de l'effet que pouvait produire aujourd'hui ce concerto que j'étais un peu enclin à considérer comme une «oeuvre d'époque», c'est-à-dire témoignant de certaines expériences d'un moment, sans les dépasser durablement.

Ce concerto - qui date de 1931 - est le reflet d'un certain néo-classicisme (qu'on a appelé parfois «retour à Bach») en même temps que l'écho des chorégraphies qui hantent le Strawinsky de cette époque (le concerto se situe juste entre le «Baiser de la Fée» et «Jeu de cartes»). À quoi s'ajoute un élément batifolant, inspiré partiellement par les possibilités virtuoses du violon (plus d'une fois, on pense d'ailleurs au violon de l'«Histoire du Soldat»). Mais nous sommes aussi à l'époque qui a vu naître des oeuvres austères et dépouillées comme «Oedipus Rex» et la «Symphonie de psaumes», et il est des accords ou contours qui nous y font penser parfois.

Bref on y voit Strawinsky faire beaucoup de Strawinsky. Mais avec quelle diabolique adresse il se plagie et avec quelle imagination jamais en défaut! Car c'est une oeuvre qui a beaucoup de séduction, qui est pleine de piquant. Certes son inspiration n'est pas toujours de la plus haute élévation, mais on ne s'y ennuie pas. Son premier mouvement, «Toccata», a beaucoup de fraîcheur, ses deux «Arias» - dont le second est une allusion très nette à Bach - sans être dénués de quelque artifice, ont du charme, l'un, de l'expression, l'autre, et le «Capriccio» final - avec son duo de violon, lui aussi «alla Bach» - est plein de verve.

Si j'ai parlé de séduction à propos de ce concerto, il me faut bien préciser tout le mérite qui en revient à Christian Ferras, lequel fut l'interprète éblouissant de ce concerto. S'il lui arrive de forcer un peu sur le pathos dans le deuxième Aria, avec quelle générosité sonore, quel mordant rythmique, quelle élégance d'archet et quel esprit pétillant - sans parler de sa transcendante virtuosité - ne traduit-il pas les éléments vitaux de chacun des quatre mouvements! Et ce fut une joie d'assister à l'accord rythmique - si scabreux - réalisé entre le chef et son soliste.

Franz Walter. [...]" cité du Journal de Genève du 6 juin 1966, en page 12.

Les extraits du Journal de Genève et de la Gazette de Lausanne cités ci-dessus sont rendus accessibles grâce à la splendide banque de données de letempsarchives.ch, qui est en accès libre sur la toile, une générosité à souligner!

Igor Strawinsky, Concerto en ré majeur pour violon et orchestre, Christian Ferras, Orchestre de la Suisse Romande, Ernest Ansermet, 5 octobre 1966, Victoria-Hall, Genève, enregistrement RSR

Présentation par Jean-Pierre AMANN 02:30 (00:00 -> 02:30)

1. Toccata 05:52 (02:30 -> 08:22)

2. Aria 1 04:42 (08:22 -> 13:04)

3. Aria 2 05:34 (13:04 -> 18:38)

4. Capriccio 06:28 (18:38 -> 25:06)

Cet enregistrement fut diffusé dans l'épisode «1935» de la série d'émission «Les annales radiophoniques de l'OSR» de Jean-Pierre AMANN - que l'on pouvait écouter sur «Espace 2» le 2 mai 2018 dans «Poussière d'étoile».

Pour écouter l'enregistrement ou une de ses parties, aller sur la page de l'épisode «1935», saisir le curseur de la "barre-temps" avec la souris et le positioner au minutage désiré - les minutages sont donnés ci-dessus entre ().

Au programme de cet épisode «1935» de la série d'émission «Les annales radiophoniques de l'OSR» de Jean-Pierre AMANN - diffusée sur «Espace 2» le 2 mai 2018, dans «Poussière d'étoile»

Enregistrements de concerts de l'OSR effectués par la Radio Suisse Romande (RSR).

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