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Mécanisation de la montagne

Mécanisation de la montagne

Marcel Maurice Demont
Marcel Maurice Demont

Shisha Pangma, 8030 mètres, Tibet

Camp avancé 5800 mètres

En expédition, mécanisation de la montagne pour sauver une vie

Mécanisation de la montagne ?

Les premières images me venant à l'esprit lorsque l'on évoque ce thème sont celles des trains de montagne, des trains des neiges à crémaillère qui grignotent les fortes pentes des Alpes à l'aide de rails dentés. Puis je pense aux téléskis, aux télésièges, aux télécabines qui côtoient ou survolent les pâturages en été, et les pistes de ski en hiver, pistes sillonnées par des dameuses qui égalisent la neige naturelle de plus en plus rare et celle des canons à neige. Aux autocars aussi, de ligne régulière ou de tourisme. Aux avions qui atterrissent sur les glaciers sous le regard désapprobateur des alpinistes. Aux hélicoptères, encensés lorsqu'ils sont en mission de sauvetage ou de ravitaillement, honnis par les puristes lorsqu'ils déposent des skieurs sur un sommet, troublant ainsi la quiétude des lieux.

Il faut les comprendre.

« Ils étaient partis au cœur de la nuit, à la pâle lueur de leurs lampes frontales.

Dans le ciel d'encre scintillaient les étoiles.

Seul le doux frôlement rythmé de leurs skis sur la neige était perceptible.

Leur esprit éveillé dans leur corps engourdi captait l'incommunicable : l'éternelle majesté de l'Alpe cathédrale de la Terre.

Plusieurs heures s'étaient écoulées, emplies d'une marche lente propice à la contemplation, 'Alors que l'alpiniste doucement se transporte vers un lieu plus haut, ses pensées s'élèvent'.

A l'Est, une faible lueur était apparue, bientôt suivie par le premier feu de l'aurore.

Enfin, le soleil avait incendié l'horizon.

Ils apercevaient le sommet de la montagne, vêtue d'un blanc manteau jetant des éclats brillants comme des pierreries.

En eux montait un chant de reconnaissance, d'amour : 'Salut à toi, glacier sublime', lorsqu'un bruit d'enfer vint soudain troubler cet instant magique, magnifique.

Trouant le ciel pur, émettant un vacarme assourdissant, une machine volante soudain surgit, au point culminant du relief se posa et cracha sa cargaison de touristes douchés de frais, tirés à quatre épingles, parfumés au Chanel no 5, une eau de grande lignée.

En un étrange cocktail, senteurs de luxe et désagréables odeurs de gaz d'échappement se mêlaient.

Profanation.

Le cœur des alpinistes s'emplit de tristesse.

Le cœur des héliportés…

Les héliportés n'ont pas de cœur pour la nature, à la place, ils ont un porte-monnaie bien garni. »

Pour moi, guide de montagne professionnel depuis plus de cinquante années, le mot mécanisation (de la montagne) a une signification différente, indissociable de ma pratique du métier.

Nombreux sont les nouveaux passagers des grands espaces montagneux qui se réduisent, sous la pression du tourisme, des quads, des motoneiges, des VTT à moteur électrique, des drones et du réchauffement climatique.

Autres exemples de mécanisation.

Le détecteur de victime d'avalanche (DVA), certes, c'est de l'électronique avec un tout petit rien de mécanique, l'interrupteur. Cet appareil a remplacé, avec bonheur, la cordelette avalanche rouge que l'on fixait à sa taille lorsque la situation était jugée dangereuse, espérant, qu'en cas d'accident, une partie de la ficelle émergerait pour aider aux recherches.

Le poste radio émetteur-récepteur et le Natel, mécanisation à tout faire, appeler de l'aide ou, du sommet, annoncer au monde entier sa réussite. Il n'y a pas très longtemps encore les alpinistes en difficulté, de jour agitaient une veste de couleur ou un foulard en appelant ou en sifflant pour attirer l'attention, de nuit, utilisaient une lampe de poche, carrée, se tenant à la main ou fixée à la ceinture, elle était pourvue d'un verre permutable rouge. En l'absence de visibilité, le plus apte allait chercher du secours à pied, à ses risques et périls.

Mécanisation encore, le GPS qui, par temps de brouillard épais vous conduit sans faute à l'endroit voulu, pour autant que l'on sache s'en servir et qu'on ne tombe pas en panne d'accumulateur.

Mécanisation de la montagne toujours, le panneau solaire fixé sur le sac à dos pour recharger… l'accumulateur.

Il est bien d'autres 'mécaniques' qu'utilise aujourd'hui celui qui parcourt les montagnes. Celle que montre la photo ci-dessus est un caisson hyperbare (dit 'de compression') pour le traitement du mal aigu des montagnes (en sus de médicaments). La personne malade est placée l'intérieur, le caisson est fermé hermétiquement, les compagnons de la victime s'attellent à la pompe manuelle (c'est très exigeant dans l'air rare de la haute altitude), la pression interne augmente et le patient se retrouve dans les mêmes conditions de pression que s'il était à une altitude inférieure de 2 à 3000 mètres. Bien des vies on été sauvées grâce à cet équipement. En son absence, on tente de porter le malade vers le bas. Mission très difficile, parfois impossible, et j'en reste là avec mon petit inventaire partiel de la mécanisation de la montagne vue… du cœur de la montagne.

Marcel Maurice Demont, 2017.

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Marcel Maurice Demont
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19 août 2017
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