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Le mort se portait bien

© Jean-Claude Pont
Michel Savioz

Le mort se portait bien
Histoire en patois d'Anniviers, par André Pont.

Entre Noël et Nouvel-An Antoine et Pierrot allaient chaque jour gouverner les vaches à Gilloux. Ils partaient de St-Luc à la pointe du jour et rentraient le soir avec la brantée de lait. Une fois, ils durent rester à l'étable jusque tard dans la nuit parce que la vache tachetée allait vêler. Vers minuit, quand ils partirent pour St-Luc, il neigeait et ventait tant qu'il pouvait. Nos deux pauvres bergers devaient brasser une épaisse couche de neige fraiche. Pour chercher le chemin, ils n'avaient qu'une misérable petite lanterne à pétrole qui n'éclairait pas plus de dix empans devant eux. Pour traverser la forêt de Laché, ça allait encore, parce qu'ils étaient un tant soit peu abrités par les futaies. Mais depuis le Prilet, quel courant! La lanterne s'éteignit, les allumettes étaient mouillées, la mèche également et on ne put plus l'allumer.

Antoine et Pierrot ne voyaient plus rien, grelottaient de froid et perdirent la piste. Pour se réchauffer, ils sortirent de la poche la fiole d'eau-de-vie et ils burent tout ce qu'ils n'avaient pas ingurgité à la vache tachetée. Pierrot qui aimait bien l'eau-de-vie, en but quelques gaulées de trop. Bientôt, il sentit la tète qui lui tournait. Tout a coup, il se fit un croc-en-jambe, et il partit en roulant au bas des champs, des talus, des ravins, presque jusqu'aux Moulins. Antoine qui ne le voyait plus lui cria: es-tu mort ? Pierrot répondit: oui!

Antoine, apeuré partit en courant vers St-Luc, quérir le curé pour l'administrer et des gens pour le transporter chez lui. Ils le cherchèrent durant toute la nuit sans le trouver. Ils ont fouillé tous les moindres recoins: dans la neige, dans les étables, dans les crèches, dans les granges. Nenni! Plus de Pierrot, ni mort, ni vif. II n'était pourtant pas déjà dévoré par le renard!

Fatigués de chercher, vers le matin, ils s'en retournèrent au village pour faire savoir le malheur aux parents de Pierrot. Pensez qu'ils ont trouvé Pierrot vivant qui, entre temps, s'était trainé jusqu'à la maison, parfois debout, parfois à quatre pattes, bleu de froid. II se tenait tranquillement au chaud, derrière le fourneau, les mains dans le four pour se dégeler les doigts. Antoine lui dit: je t'avais demandé si tu étais *mort et tu m'as crié: oui! C'est parce que j'avais compris: "es-tu *debout", répondit Pierrot.

N.-B. * L'histoire joue sur les mots "riss" (mort) et "driss" (debout).

Gravure sur bois d'André Pont

Patois d'Anniviers et d'ailleursAvec l'aimable autorisation de © Jean-Claude Pont.

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