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L'Alhambra, une salle polyvalente historique

1 décembre 2008
Rôtisserie 10, Genève
© Catherine Courtiau
Sylvie Bazzanella

L'Alhambra est une des premières salles conçues en Suisse pour présenter à la fois des spectacles de scène et des films. Elle était alors la plus grande de Suisse avec ses 1400 places et fut la première à pouvoir projeter des films sonores et parlants dès 1928. Dans les années 1950, elle s'adapta aux grandes innovations techniques du cinéma. Sauvé de la démolition et classé monument historique en 1996, l'édifice fait enfin l'objet d'études pour une sérieuse restauration attendue depuis longtemps.

Le théâtre cinématographique Alhambra (1) fut construit en 1918-20 par Paul Perrin père (2), après une opération de dénoyautage d'un vaste périmètre du versant nord de la Vieille-Ville, sous les jardins des maisons de maîtres de la rue Calvin. La Société immobilière Domus avait acquis les terrains nécessaires à son implantation, à l'initiative de Lucien Lévy, dit Lansac, directeur de la succursale suisse de la Société anonyme Omnia, seule concessionnaire des films Pathé, dont le siège se trouvait à Genève. Jusqu'à la radiation de cette succursale en juillet 1919, l'Alhambra s'appelait Omnia, comme en témoigne l'inscription au-dessus de son péristyle d'accueil.


© Photo Max Oettli

La SI Domus vendit l'Alhambra à l'Etat de Genève en 1961 qui lui-même le remit à la Ville le 1er janvier 2000, en échange des abattoirs à La Praille. La salle fut exploitée au début par la Cinémas-Théâtres SA, dont dépendait Omnia, en 1934 par la Rex SA administrée par Maurice Dubuis, en 1946 par la Filacsa SA sous la direction de Nestor Fuchs, puis de sa fille Jeanine Fuchs. Peu avant l'achat par la Ville, la salle connaissait un mode de gestion mixte. Elle était exploitée 240 jours par an comme cinéma par Métro ciné dirigé par Miguel Stucky, et 120 jours comme salle de spectacle, dont la programmation était confiée à un comité ad hoc, le secrétariat étant as suré par l'association Basis. Aujourd'hui, elle est entièrement gérée par la Ville de Genève.

A son inauguration, le 8 janvier 1920, plusieurs films furent présentés dans ce que la revue Cinéma suisse qualifia de la plus grande et la plus belle salle de l'image animée de Suisse, en précisant que la projection était parfaite. Mais entre 1924 et 1926, le 7e art y fut abandonné au profit de revues, d'opérettes, de vaudevilles, de conférences, ainsi que de soirées sportives ! Puis en 1926, quatorze directeurs de salles de cinéma, dont Lansac, s'insurgèrent contre la projection de films au Grand Théâtre ou au Victoria Hall, salles «à l'abri de l'inquisition du service d'hygiène» et exonérées des taxes spéciales auxquelles ils étaient soumis. Cette situation semble avoir incité Lansac à moderniser au plus vite l'Alhambra pour permettre la projection alors révolutionnaire de films sonores et parlants dès 1928 déjà.

L'Alhambra, dont la structure en béton au remplissage en maçonnerie est revêtue d'un crépi en simili-pierre, réunit trois corps distincts qui devaient répondre aux exigences techniques et au confort inhérents aux divers types de spectacles programmés: le corps d'entrée, la salle de spectacle et la tour de scène.

Disposé en arrondi à l'angle des rues, le péristyle d'entrée, couronné d'un fronton cintré percé d'un oculus, était et reste destiné à attirer de divers endroits le regard du passant. Au 1er étage se situe l'Alhambar, ancien foyer-crèmerie ou jardin d'hiver, accessible par deux rampes d'escaliers et par une porte extérieure côté colline. Le 2e étage est occupé par des bureaux, à l'origine partiellement par le logement du concierge.

La cabine de projection s'est toujours trouvée dans ce corps de bâtiment, isolée de la salle pour la protéger des incendies à l'époque très fréquents en raison des films en celluloïd, soit en nitrate de cellulose. Initiale ment, elle était située derrière le mur de la 2e galerie. En 1927, elle fut déplacée au niveau de la 1ère galerie, puis réintégrée, sans doute dans les années 1950, au 2e étage.

Dans la salle de spectacle, la 1ère galerie forme, comme au théâtre, un fer à cheval, la 2e (fermée depuis 2000 pour des raisons de sécurité) relie les deux parois latérales. L'ancienne fosse d'orchestre, condamnée, constitue l'actuel proscenium. Les anciens puits de lumière, aménagés dans la courbe du plafond à caissons en stuc et ornés depuis la fin des années 1920 de treillis horizontaux, appelés par extension des «moucharabieh», confèrent à la salle une ambiance digne de son nom. Ils combinaient à l'origine aération et apport de lumière naturelle ou artificielle, tout comme les oculi latéraux, aujourd'hui murés. Des plaques de verre cathédrale polychromes étaient aménagées dans les combles sur des châssis roulants et déplacées à l'horizontale.

Enfin, la tour de scène, avec écran et rideau, bien plus élevée que les deux autres parties de l'édifice, abrite les cintres et les loges d'artistes.

Le corps d'entrée et la tour de scène sont construits sur des caves (à poutrelles en béton sous l'entrée et au plafond médiéval en plein-cintre, perpendiculaire au bâtiment, sous la tour de scène), alors que la salle de spectacle repose sur un terre-plein composé de remblais.

Du point de vue stylistique, cet édifice emprunte au répertoire baroque (péristyle, colonnes, pilastres, oculi, fronton cintré, corniches saillantes) tout en affichant un rythme et une sobre harmonie classiques. Des éléments Art déco sont venus s'ajouter à l'intérieur dès 1926.

Les sondages effectués en 2007-2008 révèlent un premier décor peint sur le mur de scène et au fond de la salle qui présente une sorte de clef de sol dorée stylisée à triple lacet entourée de volutes beiges/or sur un fond bleu.

L'article consacré à l'inauguration, paru dans la Revue suisse du cinéma, précisait: «La salle de spectacle est traitée sobrement, de grandes tapisseries aux tons riches, un rideau bleu uni, un écran de belle grandeur, rehaussé d'un cadre moderne qu'entournent des décorations florales, de vastes et spacieuses galeries avec loges, des promenoirs, un plafond superbe, un éclairage de premier ordre…»

En effet, le plafond à caissons en stuc devait être enduit à l'origine de peintures aux tonalités brun-beige. Nous savons que plusieurs films furent projetés lors de l'inauguration et qu'ils nécessitaient, pour une bonne vision, un obscurcissement total de la salle, sans reflets gênants.

Une importante intervention eut lieu lors de la transformation de l'Alhambra en cinéma sonore et parlant. D'après la notice parue en 1926 dans la Revue suisse du cinéma, Julien Flegenheimer, qui collaborait avec la Compagnie générale du cinéma, aurait été chargé de la modification du décor de la salle. Les nouveaux papiers peints, bien qu'un peu maladroits, présentent des motifs géométriques dans l'esprit Art déco des «moucharabieh», plus maîtrisés, des puits de lumière. Depuis lors, ils ont été surpeints à plusieurs reprises.

A présent, il reste à savoir quelles options choisir, tant structurelles qu'ornementales, pour répondre à la fois à l'harmonie stylistique et aux exigences actuelles pour que cette merveilleuse salle subsiste et puisse poursuivre ses activités culturelles jusqu'alors tant appréciées et prisées.

Catherine Courtiau

(1) Cf. mon étude historique et architecturale d'avril 2008 pour la Ville de Genève, Département de l'aménagement et des constructions, Conservation du patrimoine architectural.
(2) Paul [Henri Jules] Perrin, né à Prétoria (Afrique du Sud) en 1876 et décédé à Genève en 1970. Son fils, Paul [Henri Oscar] (1900-1982), également architecte, réalisa en 1928 le Cinéma-Carouge, rebaptisé Bio en 1972.
Je tiens à remercier Josyane Pattusch de ses précieux compléments d'informations sur son grand-père et son oncle.

Article publié dans le journal Alerte - Trimestriel de Patrimoine Suisse Genève - no 107, décembre 2008.

Catherine Courtiau est l'auteur de nombreuses monographies et publications, dont un article concernant l'Alpineum et d'autres lieux genevois consacrés au 7e art. Publié dans l'ouvrage intitulé Genève 1896. Regards sur une exposition nationale, "En marge de l'Exposition nationale 1896. Le centenaire du cinéma suisse", Genève/Paris 2000, pp.151-164.

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