"Enfin le droit d'être des enfants" ; Martine Desarzens, étudiante, répond à la journaliste de 24h, Thérèse Courvoisier à propos de la garderie Nestlé à l'Expo64.

29 août 2014
Lausanne
Martine Desarzens
Martine Desarzens

Article paru le 28 août 2014 dans le Journal 24heures,signé par Thérèse Courvoisier, journaliste, qui m'a aimablement autorisé sa publication sur NH.

Madame Thérèse Courvoisier m'a interviewé sur ce sujet.

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Cet article fait partie de la série :Expo 64 : 50 ans après. Comment les rêves et les préoccupations de l'époque résonnent encore aujourd'hui.

Dans ce volet il est question de la Garderie Nestlé, de militantisme lausannois, de Lausanne et de la politique sociale de cette ville en matière d'accueil collectif des enfants durant ces dernières décennies.

Article.

Garderie L'Expo abritait un royaume où le jeu et le rêve étaient rois.

Le jardin d'enfants de l'Expo 64 a clairement marqué un tournant en matière de garde d'enfants. Avant la Vallée de la Jeunesse (lire ci-dessous), le rôle d'une garderie était justement de surveiller les enfants pendant que les parents travaillaient ou, dans ce cas précis, visitaient l'exposition. La femme était censée se libérer de la charge des enfants pour accompagner son mari à la découverte des secteurs.

Après l'événement, on comprend enfin que l'on peut jouer et rire dans ce genre d'endroit. «J'avais 8 ans à l'époque et, dans mon imaginaire, une garderie était un lieu austère où des bonnes sœurs surveillaient des enfants, se souvient Oscar Tosato, conseiller municipal lausannois en charge de l'Enfance, de la Jeunesse et de la Cohésion sociale. Je n'avais donc aucune envie que mes parents me parquent dans ce genre d'endroit et qu'ils aillent visiter l'Expo sans moi. Ce n'est que plus tard, avec l'arrivée des centres commerciaux, que l'image de ces lieux a changé: une garderie était désormais faite pour s'amuser.»

Mais remontons encore un peu dans le temps, grâce à la conseillère pédagogique passionnée Martine Desarzens, qui a méticuleusement décortiqué les Archives de la Ville de Lausanne. Les Bulletins du Conseil communal sont une source précieuse d'informations, qui en disent long sur la perception du rôle de la femme qui travaille et doit faire garder ses enfants depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pour les plus démunis

Le 29 janvier 1946, le conseiller communal Maurice Jeanneret dépose une motion d'étude de la situation des petits enfants dans les milieux modestes. Car, à l'époque, c'est bien aux plus démunis que s'adressaient les pouponnières, garderies et jardins d'enfants. «Les maîtresses primaires nous ont souvent cité des cas d'élèves, de fillettes surtout, demandant congé pour garder leurs petits frères et sœurs. Ainsi, une fillette de 8 ans devait surveiller sept bébés à la fois!» écrivait-on. A l'époque, pour une ville de 100 000 habitants, il n'existait, mis à part trois ou quatre garderies privées, qu'une pouponnière et une garderie.

En réponse à la motion de Maurice Jeanneret, la Municipalité construit une garderie d'enfants à Bellevaux. Mais les mentalités navrent le conseiller communal. «J'éprouve une certaine tristesse en constatant que le seul écho provoqué ici par ce projet consiste en des avertissements et des soupçons à l'égard des mères qu'on soupçonne d'être assez peu scrupuleuses pour confier leurs enfants à la garderie afin de se rendre au dancing!»

Exergue dans le texte : «On soupçonne les mères de confier leurs enfants à la garderie afin de se rendre au dancing!» Extrait du Bulletin du Conseil communal du 29 juin 1948

Jusque dans les années 1960-1965, le but premier des garderies, outre la surveillance, est la lutte contre la mortalité infantile. «Les gens ne savent plus cela aujourd'hui, mais l'hygiène était ce qu'il y avait de plus important. Il existait des sas à l'entrée des établissements: aucun parent ne pénétrait à l'intérieur, s'exclame Martine Desarzens. Ces garderies étaient dirigées par des femmes plutôt sévères, souvent vieilles filles, sans la moindre formation. On n'essayait pas d'être proche des enfants.»

A la fin des années 60, les initiatives Schwarzenbach, qui visent à réduire le nombre d'étrangers en Suisse, effraient les immigrés. Nombre d'entre eux rentrent au pays, et les garderies lausannoises se retrouvent soudain à moitié vides. Heureusement, les années 70 coïncident avec l'arrivée de la pédagogie dans les jardins d'enfants et avec elle du personnel formé. Les mentalités changent et les parents choisissent de faire garder leur enfant afin de le socialiser avant son entrée à l'école. La nouvelle clientèle est exigeante et les repas sont équilibrés, le lavage des dents et les siestes organisées rythment les journées, occupées essentiellement à se développer au travers du jeu.

«Aujourd'hui, Lausanne possède les meilleures garderies de Suisse, se félicite Martine Desarzens. Les progrès ont été phénoménaux et rapides, notamment grâce aux trois mandats consécutifs de Jean-Jacques Schilt. Le seul point noir qui subsiste, malgré l'excellent travail d'Oscar Tosato et du chef du Service de la petite enfance, Jean-Claude Seiler, reste le manque de places. La faute au prix du terrain dans notre belle ville.»

Nestlé, une nounou douce comme le chocolat

En mettant sur pied le jardin d'enfants de l'Expo 64, Nestlé a bien réussi son coup: tous les enfants, devenus grands aujourd'hui, gardent un souvenir enchanté de leur passage à la Vallée de la Jeunesse. Et ceux qui n'y sont point allés le regrettent parfois encore amèrement cinquante ans plus tard.

Le groupe veveysan n'en était pas à sa première expérience, puisque Nestlé avait déjà mis sur pied le Kinder-Paradies de la Landi, soit la garderie de l'Exposition nationale précédente, en 1939 à Zurich. «Elle s'inscrivait dans les activités du club Fip Fop, qui a réuni, de 1936 à 1959, un petit Suisse sur huit entre l'âge de 5 et 15 ans, raconte Lisane Lavanchy, historienne et archiviste scientifique de la firme. Le club leur proposait un journal mensuel, Les nouvelles Fip Fop, et surtout des séances de cinéma, ce qui était très rare à l'époque. Cette initiative était liée à la publicité pour le chocolat et ses mascottes avaient pour nom Fip Kohler et Fop Cailler.»

Dans les années 50, on trouve des garderies Nestlé dans les expositions commerciales suisses comme la MUBA bâloise et le Comptoir Suisse à Lausanne. Le concept s'exporte dans plusieurs villes européennes comme Bruxelles, Francfort ou Dortmund, toujours lié à des expositions commerciales: les parents les visitent pendant que leurs enfants s'amusent sous la bonne garde d'un personnel formé.

«Le jardin d'enfants Nestlé de l'Expo 64 est créé à la demande des organisateurs de l'Expo, probablement en souvenir de celui de la Landi», reprend Lisane Lavanchy. Il proposait une grotte féerique, un atelier de bricolage, une soucoupe volante dans un décor lunaire, un théâtre Guignol, des ponts de corde, des toboggans et balançoires, un village indien (réalisé par les scouts de la région), un jardin zoologique et un parcours routier animé par de vrais policiers avec des mini-voitures Général Motors.

Si les animations font encore rêver aujourd'hui, les chiffres impressionnent: pendant toute la durée de l'Expo, le jardin d'enfants a accueilli 104 809 petits et servi 58 000 repas. Il était ouvert de 9 h à 19 h et accueillait les petits de 3 ans à 12 ans pour la somme de 5 francs la journée (2 francs la demi-journée). Plus impressionnant encore pour l'époque, les enfants étaient encadrés par 65 «jardinières d'enfants» diplômées et des stagiaires de la Fondation Curchod. Lors de la journée record, la garderie a accueilli 1892 petits hôtes. Nestlé a utilisé 40 000 litres de lait pour servir à tous ces petits son célèbre Nesquik, lancé en Suisse six ans auparavant.

Militantisme : La difficile arrivée d'une déléguée à l'Enfance

Dans les années 80, Lausanne a connu un grand mouvement de parents très actifs, d'enseignants engagés et d'autres militants se mobilisant pour défendre la petite enfance dans la capitale vaudoise. C'est en quelque sorte la rue qui est à l'origine des énormes progrès réalisés ces trente dernières années.

Pionnière en matière de garde d'enfants depuis sa jeunesse, maman et conseillère communale, Martine Desarzens avait décidé de créer un lien entre le peuple et les politiciens. Il y a vingt ans, elle a ainsi déposé une motion pour demander que Lausanne s'équipe d'un(e) délégué(e) à l'Enfance. «Je trouvais que certains partis réduisaient trop la vie des enfants dans notre ville: interdiction de monter aux arbres, de se «baigner» dans les fontaines… Il ne faut pas oublier que le travail des enfants, c'est de jouer! J'ai toujours défendu le fait que nos impôts doivent servir à toutes les populations de notre ville, ce qui n'était plus le cas pour les enfants», explique-t-elle, se souvenant de sa propre enfance joyeuse où elle et ses frères et sœurs étaient plus libres de profiter des espaces verts de la ville.

Dès 1990, la fonction de «délégué» était semble-t-il à la mode, puisque plusieurs politiciens ont demandé, puis obtenu des postes de ce genre. «Il y avait beaucoup de nouveaux délégués: à l'Egalité, au Corps de police, aux Piétons, à l'Intégration…» énumère l'énergique grand-maman. En plus de vouloir un délégué, Martine Desarzens désirait ardemment que le poste soit occupé par un homme «afin de sortir de ce schéma qui veut que les enfants soient l'affaire des femmes». Elle souhaitait que le bureau du délégué soit installé à côté de celui du syndic et qu'il participe à toutes les séances «afin de pouvoir toujours poser la question: «Quelle incidence pour les familles et les enfants?»

Tollé général. Martine Desarzens prend alors son bâton de pèlerin, pour convaincre au moins les conseillers communaux socialistes. Sa motion passe d'un fil. Ce ne sera pas un homme et son bureau ne sera pas voisin de celui du syndic, mais tout de même: Monique Skrivan sera nommée déléguée à l'Enfance avec comme but premier d'être la porte-parole des parents, des éducateurs et des autres militants.

«Il ne faut jamais oublier que le travail des petits enfants, c'est de jouer!»

Martine Desarzens, 71 ans, conseillère pédagogique

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